HIDAMARI NO KI (L’ARBRE AU SOLEIL) [2000]
Réalisation : Gisaburou Sugii (Night On The Galactic Railroad)
Scénario : Hideo Takayashiki (Maison Ikkoku, Rideback), Sumino Kawashima (Aoi Bungaku)
Animation : Madhouse
D’après le manga de Osamu Tezuka [1981-1986]
1855, les dernières années du shogunat ont commencé. A Edo, nous suivons le parcours parallèle de deux jeunes hommes happés par le puissant typhon de l’ère Bakumatsu. Ryoan Tezuka, un étudiant en médecine fasciné par les méthodes scientifiques européennes, brave dangereusement le monopole du protocole chinois en soutenant l’ouverture d’un centre de vaccination anti-variolique. Ibuya Manjiro, un samourai naïf guidé par son sens de l’honneur, essaie de peaufiner sa maîtrise du sabre parmi les troupes militaires du daimyo local. Amoureux de la même femme, le premier incarne la lumière du monde extérieur, le second la tradition implantée d’un pays séculaire. Alors que le Japon est pressé contre son gré de commercer et de parlementer avec les occidentaux, les vies de Tezuka et Manjiro sont impactées par les plus importants bouleversements politiques de l’histoire de l’archipel.
J’ouvre un thread mort-né, pour ne pas cantonner cette pépite au topic Osamu Tezuka. Depuis quelques semaines les subbers de Orphan se sont lancés dans une traduction plus rigoureuse de la version animée, apposée à une qualité vidéo enfin digne de ce nom. La série Madhouse de 2000 (25 épisodes) sera postée sur le net sous la forme de quatre batchs, dont le second vient d’arriver il y a trois jours ; les louanges ci-jointes sont celles de quelqu’un qui attendait depuis quatorze ans de découvrir cette adaptation dans des conditions décentes. Spoilers (mais en fait pas du tout) : c’est grand, carrément précieux. D’une densité thématique et affective rare.
En partie (hagio-)biographique, puisque l’un des deux protagonistes n’est autre que l’arrière grand-père de Tezuka, Hidamari No Ki était déjà un manga ambitieux et impressionnant à moults égards. En fait l’un des plus aboutis de son auteur – dont le brio n’a d’égal que la tendance ludique à s’éparpiller – sur le strict plan de la rigueur narrative, et comme toujours avec l’Homme au Béret, un cas d’école de par sa capacité innée à décrire de la manière la plus claire, la plus évidente possible, un contexte socio-politique pourtant complexe. Hyper-documenté mais loyal vis-à-vis des devoirs dramatiques de la fiction, Hidamari No Ki croise les questions d’ensemble et les petites existences personnelles, semant des pavés d’émotion pure au milieu de ses enjeux idéologiques plus généraux. Sujet du jour sa retranscription animée, d’une fidélité à toute épreuve, lui fait honneur via un graphisme d’une élégance imparable, l’animation ad-hoc et le doublage trois étoiles de Kouichi Yamadera. Pour sûr, on décèle d’emblée la légère inclination pro-occidentale de Tezuka dans la manière dont il relate les évènements, et c’est ce qui permet au récit de conserver sa limpidité en dépit d’une galerie de personnages pléthorique ; à la différence de Ryousuke Takahashi, qui consacra également un très solide anime à la période Bakumatsu en 2006, Tezuka indique où vont ses préférences, quitte à contrarier le public auquel le jidaigeki s’adresse d’ordinaire. Assez pour que ses protecteurs de chez Tezuka Productions, lesquels font beaucoup depuis vingt ans pour atténuer les aspects "intellectuels" du Maître et cultiver le mythe d’un créateur de mascottes nonchalant, aient accompagné leur édition DVD d’une mise en garde sur la subjectivité, les goûts et les couleurs et tutti quanti. Il faut dire que contrairement aux réalisateurs aseptisés et niais, aux moephiles et aux renégats qu’il a engendrés, Tezuka concevait l’animation comme un art noble et le Japon en nation dont l’histoire devait participer de l’Histoire du monde. Forcément, tout chez lui était sérieux, y compris la franche déconnade et les caractères débonnaires qui font son autre signature.
A mi-parcours, il semblerait que la conversion sur celluloïd de Madhouse soit bien le joyau escompté. On en garnirait les pastilles à enfoncer dans le gosier des gusses qui prétendent que 'le manga et l’anime c’était pas mieux avant, c’est juste une vue ronchonne de l’esprit'. Porté par une technique sobre (et irréprochable), Hidamari No Ki n’était pas là pour tailler une bavette avec Love Hina mais pour viser le statut d’œuvre, celui-là que le secteur combat sans économiser sa médiocrité depuis des décennies. Un anime avec toutes les incursions humoristiques que l’on sait du corpus tezukien, mais fait du même bois que le cinéma des géants, Masaki Kobayashi et Kon Ichikawa en tête. Echec commercial en son temps à l’instar d’à peu près tous les anime frappés au coin du sceau Tezuka, cette adaptation est aussi l’un des derniers vestiges de la gloire artistique déchue de Tezuka Productions, à l’époque où la maison pouvait enchaîner coup sur coup les OVAs de Black Jack, le film de Jungle Emperor Leo, l’exceptionnelle Astro Boy 2003. Et ladite gemme, donc. Recommandée pour qui ne connaîtrait pas le manga d'origine, ou qui voudrait tout simplement tâter de l'antidote à la vacuité de l'industrie instaurée en système. Ou pour les néophytes du sensei qui souhaiteraient savoir par la même occasion ce qui sépare et séparera toujours Jimi Hendrix de Calogero par-delà les effets de mode.