Pas vraiment de la littérature, mais...
Les évaporés du Japon - Enquête sur le phénomène des disparitions volontaires, Léna Mauger et Stéphane Remael, Les Arènes
Tout est dans le titre ou presque. Une enquête, ou plutôt le récit de l'enquête des auteurs, sur ces japonais, 100 000 par ans nous dit-on, qui choisissent de disparaitre du jour au lendemain, seuls ou en famille, de tout plaquer par ras-le-bol, devant la pression ou par nécessité de fuir, et deviennent passagers clandestins au sein de leur propre pays.
Sur les 20 chapitres dont est composé le livre, seuls 5 sont des témoignages d'évaporés retranscrits fidèlement, le reste est avant tout le récit subjectif de l'enquête qui a durée des années avec ses fausses pistes, ses errances, ses incidents, et à travers duquel transparait, entre deux extraits de témoignage, la difficulté de trouver des personnes prêtes à parler du sujet au Japon et donc à quel point il est tabou là bas.
Les raisons qui poussent ces gens à disparaitre sont très variées, d'un licenciement à des dettes auprès des yakuzas, d'un échec personnel à un mariage raté. C'est une plongée au cœur du
makegumi, les perdants de la société japonaise, ceux qui ont perdu à la vie et à qui il ne reste qu'une existence au jour le jour, quand la vie se résume à la survie.
Le livre donne aussi la parole aux familles de disparus, l'incompréhension qui domine chez ceux qui restent eux. Dans ce livre une famille d'un jeune homme disparu sans du jour au lendemain est persuadée qu'il a été enlevé par la Corée du Nord quand tout donne l'impression qu'il s'est suicidé ou a été éliminé discrètement, la famille s'accroche à ce qu'elle peut. Et puis il y a ceux qui gravitent autour de ce Japon caché. Des déménageurs capable de vider une maison en quelques heures en pleine nuit aux détectives privés engagés pour retrouver, souvent en vain, les disparus.
Les témoignages, souvent morcelaires, sont assez saisissant. Après la lecture de celui d'un cadre sup qui a fuit après avoir été menacé par la mafia pendant la bulle pour vider son appart situé sur un terrait à haute valeur immobilière, je n'avais qu'une envie, le prendre par le col et lui demander "mais pourquoi tu n'as pas simplement vendu, ducon ?".
C'est illustré par de superbes photos de Remael,
dont on peut voir une sélection sur son sites (parfois avec une légende différente de celle du livre et avec même certaines qui n'y sont pas), qui ont été ce qui m'a motivé à prendre le livre.
Ce livre est une lecture passionnante, il est peut-être écrit de manière trop subjective pour son propre bien mais il dresse un portrait assez terrifiant de ce royaume des existences brisées qui, il ne faut pas l'oublier, existe aussi chez nous.