Et bien voici de la main de Patrick Honnoré les réponses à vos questions.
Patrick Honnoré a écrit:"Yôkai, le dictionnaire des monstres japonais" est un livre écrit et illustré par Mizuki. L'édition Pika est la traduction intégrale du livre.
Mise à part la petite préface que nous avons écrite ("nous", ça veut dire les traducteurs : Satoko Fujimoto et moi), nous n'avons rien changé ni ajouté ni retranché au texte original. La seule chose qui a été modifiée, c'est l'ordre, afin que les yôkai soient classés par ordre alphabétique au lieu de l'être dans l'ordre du syllabaire japonais, ce qui aurait rendu le livre difficile à consulter (les yôkai commençant par U se seraient trouvés avant ceux de la lettre B, par exemple). C'est une décision de l'éditeur, et je vois mal qui pourrait la lui reprocher. Ah oui, l'original était en un seul volume, alors que l'édition française sera en deux volumes. Bon. Je ne trouve pas ça scandaleux. Voyez avec l'éditeur si vous pensez le contraire.
Concernant une bibliographie ou des notes, quelques petits commentaires :
- Avec ce "dictionnaire", Mizuki n'a pas prétendu écrire une thèse ou un mémoire universitaire. Il n'était donc pas tenu à respecter les règles de présentation et d'argumentation de ce type d'ouvrages, et je ne vois pas pourquoi nous aurions dû changer quelque chose pour lui donner artificiellement une forme pseudo-universitaire.
- Cela ne veut pas dire non plus que Mizuki écrit n'importe quoi ou qu'il tire toutes ces histoires de sa propre imagination. En fait, à la base de ce dictionnaire, il y a les notes que Mizuki prend au fil de ses voyages, de ses lectures et des histoires qu'on lui raconte, et qui lui ont servi parfois (pas toutes) à créer ses propres personnages de BD. Ainsi de nombreux articles font référence à des ouvrages anciens, des textes inédits conservés dans des temples ou chez des particuliers, ainsi qu'à des ouvrages plus récents et plus "scientifiques", d'ethnologues ou folkloristes réputés.
Malheureusement, aucun de ces livres cités par Mizuki en référence n'est traduit en français, et sont d'ailleurs souvent épuisés depuis longtemps au Japon. Il n'y avait donc pas lieu de regrouper toutes ces références dans une bibliographie à part : ça aurait fait franchement prétencieux sans être d'aucune aide pour personne.
- Bien sûr, pour effectuer la traduction de ce livre, nous avons consulté un certain nombre d'autres ouvrages. Mais un traducteur n'a pas à se mettre en avant au point de donner sa bibliographie personnelle. C'est l'ouvrage de Mizuki, pas celui des traducteurs. J'ai été étonné qu'on puisse nous reprocher cela.
- Sur les illustrations, ce ne sont pas des copiés-collés de cases de manga, mais les illustrations de l'édition originale. Evidemment, Mizuki a souvent fait apparaître ces yôkai dans ses bandes dessinées, il est donc assez normal que certains yôkai ou décors aient été ré-utilisés. Pour certains yôkai, Mizuki s'est manifestement inspiré de gravures anciennes célèbres (en particulier les estampes de yôkai de Sekien, un grand peintre du 18e s. et il ne s'en cache pas, c'est pour lui une façon de jouer avec ses lecteurs qui reconnaissent évidemment ces illustrations très célèbres, par exemple celui de la page 100, que vous connaissez certainement). Sur la représentation des yôkai, il faut aussi dire qu'il s'agit de la vision qu'en a Mizuki, pas d'une représentation absolue ou fixée. Vous pouvez trouver le même yôkai dans un autre manga ou animé avec une tête franchement différente. Les yôkai sont plus caractérisés par leur caractère, le bruit qu'ils font ou leur mode d'apparition que par leur silhouette. Comme dirait Mizuki : en définitive, personne ne les a jamais clairement vus, donc on ne sait pas très bien à quoi ils ressemblent... Après, tout est affaire d'imagination, de culture, ou parfois d'expérience du dessinateur.
- Personnellement, c'est ce que j'adore chez Mizuki dans ce dictionnaire des yôkai : il est à la fois très logique, très rationnel, il ne dit rien qui ne soit parfaitement justifié par une source ou une tradition très minutieusement localisée (chaque histoire est rapportée à un village, voire un lieu-dit spécifique, dans tel canton de tel département), et en même temps il est d'une pureté d'âme, presque d'une naïveté (au sens de "peintre naïf") absolue.
Quand on lit ce livre, on finit par comprendre ce que sont les yôkai, mais non pas comme si on lisait une définition du dictionnaire, pas non plus comme si on croyait au Père Noël, mais tout simplement comme "une vue de l'esprit". En français, "une vue de l'esprit" signifie un connerie, une illusion, mais Mizuki prend les choses au mot : tu as un esprit, parfois tu crois voir des choses : eh bien voilà, c'est ça, et il n'y a plus besoin de se demander si c'est "réel" ou pas. C'est nécessairement réel, puisque c'est dans ton imagination. Et si toi tu ne vois rien, c'est qu'ils n'ont pas envie de se montrer à toi. Et peut-être tu as de la chance de ne pas les voir, et peut-être pas... Evidemment, cette démarche n'a rien à voir avec l'écriture d'un ouvrage de référence universitaire, c'est tout simplement de la poésie. Mais on apprend aussi des choses avec la poésie.
- Comme je l'ai lu sur un autre forum, ce dictionnaire des monstres japonais permettra à ceux qui le désirent de revoir la fin de Pompoko en mettant un nom sur chaque yôkai du défilé final, ou les autres films de Miyazaki Hayao, ou de relire Dragon Ball ou Naruto ou Tezuka, ou des nouvelles de Edogawa Rampo ou de Tanizaki ou plein d'autres choses en sachant un peu plus ce qu'il y a derrière un chat à neuf queues, un tanuki, un kappa... Mais il n'est pas interdit non plus de le lire comme un "Contes et légendes du Japon traditionnnel". Quelqu'un qui s'intéresse à la sociologie ou a l'ethnologie y trouvera aussi plein de pistes intéressantes, mais à prendre au second degré et à recroiser avec d'autres sources, évidemment.
Voilà, j'espère que vous aimerez ce livre et que vous aurez autant de plaisir à le lire que nous avons eu à le traduire.