Deux films d'animation :
La chance sourit à Madame Nikuko (2021)Gyôko no Nikuko-san (La Chance sourit à Madame Nikuko) est un long-métrage sorti au Japon en 2021 et qui a eu les honneurs d’une sortie en salles en France cette année, dans une indifférence totale du public comme des distributeurs. Ce qui peut surprendre étant donné que le film, réalisé par Ayumu Watanabe et produit par le Studio 4°C, vient de la même équipe qui avait sorti Les Enfants de la Mer il y a trois ans, lequel avait eu droit à un minimum de promotion – au moins, le minimum auquel peuvent avoir droit ce genre de productions confidentielles.
Les comparaisons vont s’arrêter là cependant. Les Enfants de la Mer, adapté d’un manga, était un film porté sur la recherche stylistique et l’expérimentation visuelle et sonore, tandis que Nikuko-san, adapté d’un roman, est bien plus intéressé par l’aspect narratif. On y raconte la vie de Kikuko « Nikuko » Misuji et sa fille, Kikuko « Kikurin » Misuji, dans une petite ville portuaire du Japon où elles ont élu domicile après une existence de galère à travers le pays. Habitant dans un bateau, avec peu de moyens mais beaucoup d’enthousiasme, les deux filles s’intègrent dans la communauté locale et apprennent à construire leur famille.
Ce genre de film vaguement social, où l’on nous raconte les déboires d’une famille monoparentale tout en mettant à l’image de superbes paysages de campagne japonaise pour promouvoir les vraies valeurs du terroir et de la ruralité, n’est pas nouveau en japanime. On peut citer
Les Enfants Loups de Mamoru Hosoda, ou encore
Mon Voisin Totoro de Hayao Miyazaki - auquel
Nikuko-san fait explicitement référence. Ce film se situe dans cette mouvance, mais apporte sa propre tonalité.
Cette tonalité c’est celle d’un film qui se veut intimiste ; on cherche à être au plus près de ces personnages, à les suivre dans les moindres détails, jusque dans les chiottes. Le film est raconté du point de vue de Kikurin, la jeune fille, qui décrit son univers avec force détails et de nombreux monologues ; l’aspect littéraire du roman original transpire abondamment de ce côté-là. Cela pourrait être vite agaçant dans un film d’animation mais ici ça passe car le contenu est de haute qualité. Il n’y a pas de réelle d’intrigue, c’est surtout une étude de personnages, mais le point fort du film c’est qu’ils sont tous intéressants à suivre. Kikurin tout d’abord est nettement plus mature et intelligente que son âge, probablement trop d’ailleurs, le coup de la gamine de douze ans qui lit Salinger après l’école on y croit moyen, mais pourquoi pas. Nikuko, la mère, est au contraire immature voire un peu conne mais sa sincérité dans sa volonté d’élever son enfant du mieux qu’elle peut crève l’écran. Il y a aussi le personnage de Ninomiya, qui est moins présent mais que j’ai trouvé être le meilleur personnage du film ; son histoire, abordée avec humour et subtilité, raconte quelque chose que l’on ne voit jamais dans l’animation japonaise.
Esthétiquement c’est une réussite, le chara-design n’hésite pas à mélanger les styles avec Nikuko et son design cartoonesque tandis que sa fille Kikurin sort tout droit d’un shôjo manga – une différence d’apparence qui aura son importance dans le récit. L’animation dirigée par Kenishi Konichi est précise et détaillée, avec des images de synthèse quasi absentes ce qui est toujours un plus. Le seul point contentieux c’est le choix du réalisateur d’entourer l’image avec un effet bokeh constant, qui rend les bords flous durant tout le film. Les raisons de ce choix artistique sont évidentes (renforcer l’aspect intimiste qui le point principal du film) mais j’ai trouvé que ça rendait pas si bien que ça.
Nikuko-san est un film d’animation très sympathique, et ce n’est pas un film tire-larmes qui va prendre le spectateur en otage pour le faire pleurer. C’est drôle et incisif, assez malin, adapté à un public familial même si beaucoup de gags reposent sur des jeux mots en kanji incompréhensibles. Alors certes ce n’est pas le genre de film que tu vas aller voir avec les potes du tiéquar pour foutre le bordel dans le cinéma façon
One Piece Red mais c’est quand même un bon moment. Ce qui importe le plus avec un anime, ou n’importe quelle œuvre d’ailleurs, ce n’est pas que ce soit forcément bien fait ou bien produit, c’est qu’on puisse y voir la sincérité des intentions de l’artiste.
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Bubble (2022)Parmi les micro-évènements qui secouèrent le petit milieu de la japanime en 2019, il y eut l’annonce que
le studio WIT déclarait forfait pour les dernières saisons de Shingeki no Kyojin, laissant le studio Mappa pour lui succéder. Une annonce qui a pu surprendre dans la mesure où le studio WIT fut établi en 2012 en tant que filiale de Production IG, autour de l’équipe du réalisateur Tetsuro Araki, dans le but précis d’adapter ce manga dont la première saison fut diffusée en 2013. On pouvait penser que WIT irait au bout de son travail, mais ils ont préféré jeter l’éponge au milieu de l’histoire. Cela dit, vu les bombes que WIT a produit depuis (notamment les excellentes adaptations de
Vinland Saga et
SpyxFamily) on peut se dire que les spectateurs y ont gagné au change.
Reste une pièce du puzzle à résoudre : que faisait Tetsuro Araki pendant ce temps ? Un réalisateur de son calibre, qui a à son actif plusieurs des séries les plus célèbres de l’animation japonaise moderne, n’allait pas rester les bras ballants bien longtemps. C’est donc avec curiosité que l’on démarre
Bubble, film d’animation de Tetsuro Araki et WIT Studio avec la plateforme N*****x comme producteur.
Ce qui interpelle le plus avec un film comme
Bubble ce n’est pas ce qui se trouve dans le film mais ce qui est indiqué dans la bande-annonce. En plus du réalisateur Tetsuro Araki lui-même, on nous aligne une brochette de stars parmi lesquelles le chara-designer Takeshi Obata, le scénariste Gen Urobuchi ou encore le compositeur Hiroyuki Sawano. Des personnalités fortes avec lesquelles Araki a l’habitude de collaborer puisque c’est lui qui avait réalisé l’adaptation du manga
Death Note dont Takeshi Obata était l’illustrateur, tandis que Sawano a produit l’OST de plusieurs animes réalisés par Araki (
Guilty Crown,
Kabaneri, et
Shingeki no Kyojin bien évidemment). C’est aussi une méthode classique chez N*****x de balancer des noms connus pour attirer les spectateurs vers une nouveauté dont on ne sait pas trop ce qu’elle peut donner.
Le récit se déroule dans un Tokyo postapocalyptique inondé par les eaux. Un phénomène gravitationnel a provoqué l’apparition de bulles qui ont rendu la métropole inhabitable et dangereuse, puisque les bâtiments se sont mis à flotter dans les airs tandis que la montée du niveau des eaux a forcé la population à évacuer. Plusieurs années plus tard, la ville est toujours à l’abandon mais quelques personnes s’y risquent quand même. Des groupes de jeunes s’y réunissent pour pratiquer le parkour, cette discipline qui consiste à naviguer dans le terrain urbain à l’aide d’acrobaties spectaculaires. Parmi ces adeptes se trouve Hibiki, un gosse introverti mais particulièrement doué pour le parkour puisqu’il est capable d’utiliser les bulles gravitationnelles pour se déplacer. Un jour, il fait la rencontre de Uta, une fille mystérieuse qui détient peut-être le secret des bulles…
Ce qui importe le plus dans un long-métrage c’est la mise en scène et l’esthétique, et si l’on devait décrire celle de
Bubble en quelques mots ce serait « Shinkai avec des scènes d’action ». Le soin apporté aux décors, très chargés et nombreux, avec des couleurs pétantes et des filtres et des lens flare de partout rappelle immanquablement les productions du réalisateur de
Your Name et des
Enfants du Temps ; quand on regarde la bande-annonce de son prochain film
Suzume no Tojimari qui devrait arriver cette année au Japon, on y voit à peu près les mêmes images d’ailleurs. Une esthétisation extrême avec des plans finement étudiés qui ruissellent de pognon ; on peut remercier N*****x mais pas seulement, comme l’indiquent quelques plans chargés en placement produit. Ce n’est pas tout de payer ton abonnement N*****x et bientôt devoir regarder des pubs avant ton film, faut aussi que tu subisses la réclame pour des boissons gazeuses pleines de sucre à l’intérieur de ton film aussi.
L’animation n’est pas en reste, avec un chara-design de Obata très bien retranscrit à l’écran, parfois même trop avec ces plans tellement esthétisés avec un
glow up indécent qu’ils ressortent de manière presque vulgaire par rapport au reste du film. Les séquences de parkour sont l’attraction principale, avec des mouvements de caméra et une cinématographie qui rappellent les séquences d’action de
Shingeki ; on remplace simplement l’équipement tridimensionnel par des sortes de chaussures à propulsion hydraulique. C’est impressionnant à l’œil, même si une fois parvenus au dernier acte on finit par faire une légère indigestion de 3D pour les décors et les effets spéciaux ; sans jamais tomber dans la dégueulasserie des films de Mamoru Hosoda fort heureusement.
Niveau scénario on remarque assez vite les tics d’écriture de Gen Urobuchi. Le héros est un personnage masculin taciturne, blasé et qui suscite l’admiration de ses pairs. Il se retrouve associé à un personnage de jeune fille naïve, ingénue et innocente qui va servir à mettre encore plus en valeur le personnage masculin. Ce sont les archétypes de personnage que Gen utilise dans la plupart de ses scripts et on les retrouve ici de manière plutôt évidente. Pour le reste l’intrigue elle-même tient sur une moitié de post-it, c’est du
boy-meets-girl tout ce qu’il y a de plus simple, genre le héros c’est un introverti mais comme il y a cette fille qui se balade en mini-jupe autour de lui forcément il commence à avoir le zizi tout dur et puis après il sauve le monde avec le pouvoir de l’amitié et la fin c’est un peu triste et puis voilà. Par rapport à un truc comme
Le Roi Cerf (qui est certes est une adaptation de roman) on est à des années-lumière en termes de complexité narrative. Mais ce n’est pas le but de ce film, qui est de toute façon principalement porté par sa performance technique – comme souvent avec ces productions financées par les services de streaming, l’objectif c’est surtout de produire de belles images pour faire de beaux trailers et pousser les gens à rester abonnés, de toute façon c’est pas comme s’ils allaient regarder les films, déjà que le spectateur moyen a du mal à rester concentré sur un épisode de vingt minutes tu t’imagines bien qu’ils iront jamais voir un film d’une heure et demie.
En reprenant une esthétique dans l’air du temps et en y incorporant une cinématographie toute droit sortie des animes les plus populaires,
Bubble semble chercher à former le pont entre le public (majoritairement féminin) qui se masse devant les films de Shinkai et Hosoda, et celui (majoritairement masculin) qui suit les plannings saisonniers pour se bâfrer de shônen et de rom-com. Il en résulte une production sympathique mais dont il ne ressort pas vraiment de sincérité artistique, une jolie vitrine des moyens de production de N*****x avec peu de fond derrière. Si Araki doit continuer dans cette nouvelle carrière de cinéaste, on aimerait le voir sur des projets plus énervés, plus provocateurs comme l’étaient ses adaptations de
Death Note et de
Shingeki no Kyojin. Parce que sinon, à la manière de ces personnages trop beaux pour être vrais, on n’aura que des films creux et qui éclatent au moindre contact telles des bulles en perdition.