Ninja Turtles 2 - Un affront de plus ?Véritable aimant à mépris condescendant, la licence Teenage Mutant Ninja Turtles (TMNT) ne s’attire rarement autre chose que des sentences gratuites et approximatives de la part des médias, qui n’y voient en général qu’une cochonnerie débilitante à exécuter sans sommation sur la place publique. Peu oseraient même simplement la nuance, pour des questions (entre autres) de posture et de fierté : on ne s’acoquine pas avec n’importe quoi quand on est un journal sérieux. Si le monde des comics a pourtant déjà de longue date eu ses heures de gloire au cinéma - sans même se lancer dans une recherche rétrospective très soignée, les Batman de Tim Burton en attestent sans mal - un cas d’exception semble perdurer. Et le vilain petit canard est en réalité une tortue. Une tortue ninja, de surcroît. Les critiques ne s’y trompent pas : avec un pitch aussi débile - “Ah et donc c’est un rat maître des arts martiaux qui entraîne des tortues qui se battent en faisant des blagues ?” - c’est bien que ça doit être tout pourri.
On ne saurait toutefois leur tenir rigueur de ces raccourcis outre mesure quand, parallèlement, la licence n’est guère traitée avec plus d’égards par les studios chargés de produire des longs métrages aussi rushés que ce “Ninja Turtles 2”.
Des méchants charismatiques.Les geeks, ces râleursConfié à un réalisateur - Dave Green - peu expérimenté et dont la carrière est à ce jour essentiellement constituée de clips et de publicités, on comprend vite que le film ne se laissera absolument aucune chance, comme le précédent (réalisé par Jonathan Liebesman), de dépasser son cahier des charges. Et là se noue déjà une large part du problème : on ne laisse globalement que très peu d’espace et de temps à la licence pour exprimer un potentiel que seul son inamovible fandom semble aujourd’hui en mesure de reconstituer, sur la base des contenus éparses et souvent bâclés qu’on lui sert. Les créateurs du comics, Peter Laird et Kevin Eastman, hélas peu regardants quant à ce que devient leur bébé, semblent avoir renoncé à peser et jouent aujourd’hui surtout le rôle de caution de luxe (et d’appoint) lorsque la fanbase hausse le ton. Ainsi sont-ils docilement intervenus pour défendre le producteur Michael Bay, lorsque les fuites relatives à certains éléments du premier “Ninja Turtles” ont fait grincer des dents, en se gardant d’ailleurs bien de préciser que dans la panique, le film avait quand même été réécrit et reshooté (avec des moufles et à toute hâte), pour s’éviter un tollé général. Ça n’a évidemment pas manqué de susciter des rires moqueurs, car qui peut s’indigner de choses aussi triviales ? Les tortues seront “d’origine extraterrestre” ? Shredder sera finalement un riche occidental, patron d’une grosse société ? On s’en fout, on ne parle que de TMNT, voyons. Or, il est à parier que de telles libertés seraient traitées avec beaucoup moins de légèreté si elles touchaient des références de la pop culture un peu mieux considérées. Essayez ne serait-ce que de trahir la nature d’un personnage secondaire de Star Wars, juste pour voir. Je prédis le chômage longue durée pour le malheureux qui s’y essaierait. D’autant qu’on parle là de productions qui ne prétendent évidemment pas décliner une vision d’auteur, auquel cas on aurait effectivement pu envisager quelques aménagements vis-à-vis du matériau d’origine. Ce ne sont bien sûr pas les Batman de Nolan dont il est question ici, mais bien des produits hyper référencés où le fan service est roi. Dans ces conditions, bien moins qu’une bande d’agités premier degré qui voient rouge dès qu’on modifie la recette de la pizza préférée de Michelangelo, on parle du socle de fans le plus patient, dévoué et admirable qui soit : voilà près de 30 ans qu’il avale des couleuvres sans (trop) broncher. Son tort ? S’être pris de passion pour le comics le moins bien compris et traité par Hollywood.
"Arrêtez de me saouler ou je mange Shrek !"“Et le pire, c’est que ça marche” (Louis-Émile de Réac)Car contrairement à ce qu’écrivent notamment les Inrocks, qui évoquent à la sortie de ce deuxième film un reboot “ringard”, la série est encore à ce jour un incroyable succès auprès des jeunes. C’est en 2012 que Nickelodeon relance une troisième mouture de la série animée, plus enfantine, en images de synthèse, ciblant de fait moins les trentenaires nostalgiques que les nouvelles générations, quitte à bouger un peu les lignes et froisser les puristes une énième fois. Le carton est indéniable et la longévité exceptionnelle de la licence confirmée. Il est des “ringards” qui rêveraient d’être encore aussi fringants, à presque 30 ans. D’où d’ailleurs l’existence-même des deux films “Ninja Turtles”, dont la production s’avère, d’un point de vue strictement marketing, on ne peut plus rationnelle. Reste maintenant à se convaincre qu’il y a là matière à travailler des longs métrages peut-être plus ambitieux, sans sacrifier pour autant ce qui fait la spécificité bordélique du comics.
Initialement sombre, violente et auto-parodique, la bande dessinée a évolué vers quelque chose de plus fun et régressif, plus grand public aussi, dosant action et comédie avec juste ce qu’il faut d’enjeux dramatiques pour pimenter l’ensemble. S’il est vrai qu’un univers confinant à ce point au joyeux foutoir n’est pas le plus simple à adapter sur des formats dits “adultes”, il ne faudrait pas en sous-estimer le potentiel. Car TMNT, à condition de voir le verre à moitié plein, regorge d’atouts : le matériau est exceptionnellement riche (en personnages, en tons, en thèmes...), le comics se démarque de la nuée de super héros à grandes capes dont le box-office dégueule littéralement depuis des années, et en plus il bénéficie d’une fanbase particulièrement fervente, qui n’attend que d’être respectée.
Licence pleine de potentiel cherche auteur compétentLe TMNT de Kevin Munroe sorti en 2007 a quelque chose de plus cruel que les autres : parfois il laisse l'impression que ça va être trop cool.Ces mises au point étant faites, ce “Ninja Turtles 2” ne rate pas tout. Il s’avère extrêmement généreux en réunissant (enfin) du beau linge : Bebop, Rocksteady, Krang, Shredder, Baxter Stockman, Casey Jones... Il nous gratifie même d’un saut dans la dimension X et de l’apparition du Technodrome. Autant dire que ça n’a pas lésiné sur les attrape-fans, même si évidemment, rien ne bénéficie d’une once de début de traitement approfondi. Le film se fout (à raison) de ce qu’il raconte et case du fan service à la truelle - on note même furtivement l’apparition d’une manette SNES customisée sur le bras de Donatello, pour vous dire jusqu’où ça va - et comme attendu, tout ça n’est que prétexte à un défilement de scènes plus ou moins rushées. Dans cette optique, le nanar reste sympathique et pas si mal troussé, quoique parfois au bord du racolage pur et simple, avec en sus une fin bâclée au dernier degré. En tout cas, à sa façon, il rappelle à quel point (et c’est ce que se veut hurler l’article que vous êtes en train de lire) cette licence a de la matière à proposer, à condition de la mettre entre les mains d’un réalisateur un tant soit peu talentueux et capable de la traiter avec les égards qu’elle mériterait enfin. Il faudrait en effet muscler la comédie et les gags pour ce que soit drôle plus d’une fois sur cinq, il faudrait confier l’action à des gens capables de storyboarder la chose avec un minimum de tenue, et surtout, il faudrait écrire un script décent. C’est-à-dire avec un scénario certes suffisamment dingue pour être fidèle au comics, mais qui ouvrirait la voie à un traitement thématique digne de ce nom, où pourraient aussi s’immiscer des enjeux dramatiques et de l’émotion. Le souhait n’est pas si fou, puisque Kevin Munroe, au sein d’un film pourtant globalement raté, avait par séquences touché au but dans son TMNT à lui, sorti en 2007. Long métrage d’animation en images de synthèse produit par Imagi Entertainment, il est le seul depuis une éternité à avoir montré le chemin. Une scène symbolise à elle seule ces moments de bravoure fugaces pendant lesquels on se dit qu’on y est : Un affrontement tendu et poignant entre Raph et Leo, les deux frères ennemis, sur les toits New-Yorkais balayés par une pluie battante. A ce moment là, tous les voyants sont au vert (si j’ose dire), et ce n’est pas tout à fait un hasard : Kevin Munroe s’est battu pour qu’on lui confie ce projet, animé d’une passion sincère pour le matériau d’origine. Si son inexpérience, et pas mal de bâtons dans les roues, on l’imagine, l’ont conduit à des maladresses rédhibitoires, les rares grands moments du film sont à mettre à son crédit. Car il faudra autre chose que des exécutants laborieux pour redorer le blason d’une licence finalement méconnue et insultée cent fois, en dépit de ses succès en salles. Il faudra un auteur. Bah ouais, même pour quelque chose d’aussi con que les Tortues Ninja.
Et ne m’obligez pas à écrire ce film, je n’ai pas le temps. Je n’ai d’ailleurs pas le temps non plus de trouver une meilleure conclusion à ce papier, alors on fera avec. Ou sans, c'est selon.