L‘Extraordinaire Voyage De Marona
Réalisation : Anca Damian (Le Voyage De Monsieur Crulic)
Scénario : Anghel Damian
Animation : Sacrebleu Productions & Aparte Film
Victime d'un accident, une chienne se remémore les différents maîtres qu'elle a eus et qu'elle a aimés inconditionnellement tout au long de sa vie...
Sortie Janvier 2020.
"Il est plus facile pour les humains de donner un nom que leur affection."
L’Extraordinaire Voyage De Marona est un long-métrage d’origine roumaine, le premier de la réalisatrice Anca Damian qui ne soit pas un documentaire animé. Partiellement fabriqué en France, l’animal s’essaie non sans toupet à exister le cul entre deux tabourets. A la lisière du film pour enfants et de l’animation auteurisante, du trait de BD et de l’expérimentation d’école de cinéma, il superpose dessins expressifs et collages volontairement rudimentaires pour proposer un univers graphique composite, tantôt naïf tantôt glacé, souvent évocateur. Le rendu, avec sa matérialité accrue et la richesse de ses imperfections, est quasi-magnétisant. Il ne fera pas l’unanimité et des mesquins le soupçonneront peut-être de cacher ses approximations sous le tapis de l’hétérodoxie, mais une sensibilité cérébrale redoublée d’une évidente poésie se baladent à travers les images. Le design de la chienne Marona, d’apparence très simple mais efficace, sert de fil conducteur dans cet assemblage hirsute. Son doublage – qui est primordial dans la mesure où une grande partie du film est narrée en voix off, s’avère relativement plaisant sur la durée et le spectateur n’a pas de mal à croire en la bonté innée de ce canidé en quête de chaleur, plongé dans l’absurdité du monde des Hommes. Dommage toutefois que les autres personnages ne bénéficient pas d’un jeu de qualité comparable.
Le récit est plus ou moins divisé en quatre actes, couvrant respectivement la naissance du chiot n°9 et la vie commune avec ses trois maîtres successifs. Il est bien pensé, suggérant le contraste entre le moral évolutif des humains (enfance/insouciance, adolescence/enthousiasme, âge adulte/désillusion) et les aspirations inamovibles du gentil quadrupède. Alors tous les chapitres ne se valent pas, sur le fond et la forme, et j’admets que ma préférence est allée à celui de l’acrobate des rues – par ailleurs celui qui profite de la meilleure animation, avec des mouvements de lignes gondolés et excessifs épousant la personnalité du trapéziste. Mais la réalisation ne manque pas d’idées et chaque nouveau compagnon de Marona se voit attribué une étiquette visuelle distincte représentant ses états d’âme insurmontables ; l’indéfectible loyauté de la chienne trouvera, face à elle, des gens rongés par le quotidien qui ne pourront jamais lui rendre un sentiment aussi entier. L’ultime séquence, dans les rues d’une ville façonnée de morceaux de papier et de fils qui pendent, touche au superbe et il est difficile de ne pas écoper d’un pincement au coeur au moment du générique. Quels qu’aient pu etre les manquements ou les baisses de régime rencontrés en cours de métrage.
Avec son faciès d’outsider et ses réflexions un peu trop élaborées pour des écoliers, je ne prédirais pas au film un grand destin sur le plan commercial. Mais L'Extraordinaire Voyage De Marona est une production artisanale foncièrement attachante, dont les épanchements colorés et l’étonnante portée émotionnelle peuvent assurément toucher un pan du public. Celui qui éprouve un réconfort à savoir que vit encore en 2019, loin de Neo-Disney, des Happy Meals et des GAFAs, ce genre d’animation là.