FUNAN
Réalisation : Denis Do
Scénario : Denis Do et Magali Pouzol
Animation : Lunanime et Gao Shan Pictures
Sortie le 13 Mars 2019.
Cristal du long-métrage lors du festival d’Annecy 2018.
Situé au milieu des années 70, le film suit l’exil forcé d’une famille cambodgienne après la prise de pouvoir par les khmers rouges. Réduite à l’esclavage et à la faim, elle cherche à retrouver son tout jeune garçon séparé du groupe durant le périple.
Récit biographique mettant en scène la mère du réalisateur – aussi dans une moindre mesure son frère – aux prises avec des idéologues ravagés du ciboulot, Funan est un projet auquel Denis Do consacra cinq années de recherche de financements couronnées par dix-huit mois d’animation proprement dite. De par sa nature très personnelle et la démarche fondamentalement sincère de son auteur, le film touche donc forcément un peu plus qu’une œuvre de pure fiction ne saurait le faire. Le sujet même du métrage, qu’on pourrait résumer à l’aliénation au quotidien, et son traitement voulu très réaliste le conduisent, mécaniquement, à reproduire à l’écran la fatigue et la redondance inhérente à la (sur)vie sous le joug du canon. Rizières ou champs, corvée agricole ou de construction, c’est en définitive un peu la même chose, et si l’on ne peut que saluer cette approche de vérité, il faut d’emblée comprendre que ça n’est pas un film à suspense ou à rebondissements mais un volet carcéral en plein air, dans lequel un malheur vient souvent succéder au malheur. C’est à la fois toute la noblesse de Funan et ce qui le coupera d’une partie du public.
Sur la forme, la production fait le pari de la sobriété et du minimalisme, à la lisière de la BD et du dessin de presse. Ca marche, sans non plus ébouriffer son monde. Tout à son objet, le réalisateur contourne les tentations esthétisantes, économise les effets, ne magnifie à l’excès ni les hommes ni la campagne. Le design des protagonistes est à l’avenant, évitant sciemment toute saillance ou fantaisie qui pourraient les trivialiser à la sauce cartoon. On affiche un sérieux peut-être un peu trop monolithique mais cohérent, et surtout défendable sur le plan intellectuel compte tenu des visées qui président à l’histoire. Funan pâtit pourtant d’un gros souci qu’il serait assez hypocrite de vouloir zapper, il souffre lui aussi du syndrôme très français du "doublage de vedettes". Pour faire bref, Bérénice Bejo n’est vraiment pas convaincante dans le rôle, pour ne pas dire carrément atone. Alors on n’atteint pas, loin de là, le massacre de Marion Cotillard dans Avril Et Le Monde Truqué – qui sabordait littéralement le film du début à la fin, cependant il apparaît vite qu’elle amenuise la dramaturgie par son interprétation sans âme. Il est regrettable de ne pas avoir fait appel à de vrais professionnels de la voix pour enregistrer plutôt que de nouveau miser sur des noms vaguement connus mais qui semblent s’en foutre au plus haut point.
Ombreux sans se départir de son humanité, ce Funan par-delà ses quelques moments un peu monotones inspire du respect et rejoint la copieuse liste des œuvres illustrant les raisons pour lesquelles l’animation européenne – y compris française – est actuellement, sinon la meilleure en tous cas la plus intéressante au monde : pour elle plus que pour les autres, la réalité et les gens existent.