Il y a une semaine à peine, la 32X de SEGA fêtait ses dix-huit ans.
The Cursed Machine.
Parue dans le commerce en Novembre 1994, la 32X de SEGA se présentait comme une extension qui, une fois insérée dans la Megadrive, était censée lui conférer la puissance d'une vraie console 32bit. Considérée comme le plus gros échec industriel de l'histoire de SEGA, la 32X fut pour beaucoup de commentateurs l'erreur de trop dont la firme ne se releva jamais... et qui, les dettes aidant, la conduisit indirectement à abandonner la production de hardware cinq ans plus tard.
La Petite Histoire
Contrairement à beaucoup de rumeurs qui firent état d'une génèse américano-américaine, la 32X fut en fait une commande de Hayao Nakayama, CEO de Sega Of Japan, au personnel de Sega Of America.
Le monsieur estima en effet nécessaire, en l'attente de la Saturn, de lancer une extension susceptible de détourner les regards occidentaux de la Jaguar durant Noël 1994. Pour d'impénétrables raisons, le grand ponte s'était mis en tête que les gens se jetteraient bientôt sur la console Atari, voire sur la 3DO.
L'autre idée sous-jacente du PROJET MARS était probablement de prolonger la vie de la Megadrive dans certains pays tels que le Brésil, où la Master System était restée archi-populaire bien des années après l'arrêt de commercialisation. Les ingénieurs américains de SEGA et leurs homologues nippons, placés sous la supervision de Joe Miller et Hideki Sato, conçurent donc l'add-on en à peine un peu plus de six mois ; pendant ce temps au Japon, l'antenne principale ne prit même pas la peine d'annoncer la venue de l'upgrade sur l'île – et pour cause, il y sortira seulement quelques jours après la Saturn, véritable "autre" 32bit planifiée quant à elle dès 1993. Au regard de ces conditions de fabrication, la 32X aujourd'hui apparaitrait presque comme un petit miracle.
Techniquement, avec ses deux processeurs Hitachi SH-2, la 32X possède l'architecture d'une Saturn, mais cadencée à moindre fréquence. Très à l'aise avec les zooms, rotations et autres privilèges du Mode 7 de Nintendo, elle est aussi capable, poussée dans ses retranchements, d'afficher 50 000 polygones texture-mappés par seconde et 32768 couleurs simultanées. Disparue aussi vite qu'une comète, elle n'aura hélas jamais vraiment pu montrer ce qu'elle avait dans le ventre. En tout cas, pas à temps.
32X Demo Post-Annulation
Car oui, la 32X avait de la ressource.
La campagne de promotion pour la nouvelle machine de SEGA, débutée en Mars, est particulièrement féroce en Europe, où la société jouit d'une popularité sans égal en dépit du bilan mitigé du précédent add-on, le Mega-CD. L'excitation parmi les joueurs est réelle et les hors-séries consacrés à la bête pleuvent dans les kiosques. Consigne est donnée aux chargés de communication de ne pas trop digresser sur la Saturn. C'est donc sans surprise que SEGA lance la 32X sur le sol européen avant le reste du monde, le 14 Novembre précisément, au prix de 1200frs. Un prix salé qui ne laissa filtrer que les fans : les premiers jours, l'extension se vendit très bien, mais une fois le tour des aficionados accompli, il ne resta plus grand-monde à séduire. Qui plus est, SEGA à l'époque continuait d'éditer des jeux pour pas moins de six machines à la fois (Master System, Megadrive, Mega-CD, Game Gear, 32X, Saturn, sans même parler de l'arcade et des jeux annexes), rendant sa promotion absolument illisible pour le grand-public. Un grand-public qui, à l'instar des fans, va découvrir peu à peu que les éditeurs tiers japonais n'ont aucunement l'intention de soutenir la 32X, tout concentrés qu'ils sont sur la 32bit en un seul morceau à venir : la Saturn.
Publicité Francaise :
La touche Sega France est bien là.
Aux Etats-Unis, SEGA dans un premier temps ne parvient pas à produire suffisamment d'unités pour satisfaire aux précommandes, déclenchant l'ire des adolescents. Deux mois plus tard, la société finira tout de même par écouler un demi-million d'exemplaires de son extension, un score satisfaisant... qui se retourne contre elle, lorsque des milliers d'enfants se plaignent de problèmes d'incompatibilité avec leur modèle de Megadrive ou leur télévision, ou par inadvertance, détruisent les barres d'aluminium supposées fixer l'engin à leur 16bit. Les échanges de matériel et la livraison d'adaptateurs coûtent un bras à SEGA, qui déchante rapidement. Mal conçu, l'add-on nécessite d'être connecté à une prise murale, obligeant les détenteurs d'un Mega-CD 32X à brancher leur console pas moins de... trois fois.
Mais l'absence prolongée de hit clairement fédérateur dans sa ludothèque et son nombre considérable de portages seront bien plus rédhibitoires aux yeux de la presse et des joueurs...
GATTAI !
Côté japonais, le relativement modeste parc de Megadrive installé dans la population d'une part, l'intensive promotion de la Saturn d'autre part, font que la 32X passera complètement inaperçue en-dehors des acharnés de SEGA et de quelques geeks désireux de la mettre en lambeaux ou derrière un hublot.
L'échec de la 32X impacta considérablement les ventes de la Saturn aux Etats-Unis et en Europe ; en 1995, la crainte chez les consommateurs d'un nouvel abandon prématuré de sa plateforme par SEGA dirigea instantanément une partie du public vers Sony et sa sémillante Playstation. Malgré moultes offres promotionnelles toutes plus intéressantes les unes que les autres, la Saturn fut ainsi laminée par la concurrence au point de devenir la console du constructeur la moins soutenue à l'international, là où au Japon, elle s'imposa comme premier immense succès commercial de SEGA.
Pourtant, certains y crurent jusqu'à la fin. Au second trimestre de l'année 1995, alors que le sort de la 32X semblait déjà tout tracé, des ingénieurs de SEGA projetèrent de sauver leur machine en créant la Neptune, console de salon combinant Megadrive et 32X au prix de 1000frs. Les prototypes, fonctionnels, virent bien le jour, mais Sega Of Japan annula illico presto l'énième projet afin de ne pas parasiter davantage le parcours de la Saturn.
La Neptune.
En Octobre 1995, Nakayama annonça officiellement la fin de la production de la 32X.
Les Jeux
La courte durée de vie de la 32X a établi qu'ils seraient à peine plus d'une trentaine, et je ne m'arrête que sur une quizaine d'entre eux ; ceux possédant une qualité ou une spécificité quelconque méritant d'être mentionnées. Six jeux de la liste ne sont lisibles que par les Megadrive équipées à la fois du Mega-CD et du 32X, étant essentiellement des versions supérieures de softs FMV déjà distribués sur Mega-CD. A noter que plusieurs titres sont exclusifs à certaines zones géographiques.
DOOM [Id Software]
Décriée à l'époque de sa sortie, cette version 32X de Doom, la première transposition du jeu mythique sur console et ce quelques semaines avant la mouture Jaguar, peine effectivement à dissimuler le rushage dont elle a fait l'objet : un tiers de niveaux manquants, des monstres en moins, une résolution inférieure manifestée par la présence d'une "fenêtre" autour de l'écran... pressés par SEGA d'en faire un titre du line-up, les gens de Id Software ont dû faire le ménage. Les musiques furent également au centre des moqueries, faisant d'Amrith la seule personne à apprécier les émanations poisseuses et sombres du port 32X au même titre que les midis proprets de la version PC. N'en reste pas moins que c'était Doom sur console, le zénith du jeu-vidéo sans ordinateur !
Virtua Racing Deluxe [SEGA]
Disponible à la sortie de la 32X, Virtua Racing Deluxe est sans doute le hit incontournable du support. Transposition magnifique de la version arcade – elle-même premier jeu de course en 3D polygonale de l'histoire du jeu-vidéo, le soft de l'AM2 propose en outre deux circuits supplémentaires et deux véhicules alternatifs, en plus d'une bande-son améliorée de Naofumi Hataya. Et bien que l'ultérieure version Saturn se montrera légèrement plus jolie et plus dense en contenu via le double de circuits, la mouture 32X est encore celle qui fait autorité aujourd'hui du fait de ses contrôles largement mieux calibrés. Tout aurait été fantastique... si l'on avait pensé à faire en sorte que le mode Time Attack enregistre les records plutôt que de les afficher une fois pour mieux les effacer.
Star Wars Arcade [SEGA]
Troisième et dernier jeu du line-up, un portage convaincant du jeu d'arcade éponyme réalisé par l'AM1 en associations avec LucasArts pour la borne Model 1. C'est un jeu 3D en vue subjective, qui met le joueur aux commandes d'un X-Wing devant accomplir toute une série de missions anti-impériales. Un peu frugal en salles, le jeu a été légèrement rallongé sur 32X, par l'équipe américaine de Sega Interactive. C'est l'unique conversion console du jeu à ce jour, et étant donné l'imbroglio légal qui se profile autour de la franchise Star Wars, sans doute la dernière.
Knuckles Chaotix [SEGA]
Ce Sonic inédit dépourvu de Sonic – même si les meilleurs joueurs auront droit à un caméo – met en scène Knuckles et ses nouveaux amis, les membres de Chaotix, qui disparaîtront par la suite de la saga jusqu'en 2003. C'est un jeu de plateforme à scrolling horizontal dans la lignée des précédents opus, mais souffrant d'un gameplay maladroit – le joueur manie deux personnages à la fois, occasionnant quelques loupés dans la physique des protagonistes – peu aidé par son level-design vertical et un temps de conception que l'on devine infime. Jamais réédité depuis malgré la demande, Knuckles Chaotix est une rareté et un titre culte pour les fans du hérisson. Il est surtout d'une beauté absolue, démonstration de bon goût 2D, et possède une bande-son parmi les plus réussies de la série.
Shadow Squadron (aka Stellar Assault) [SEGA]
Autre jeu de tir spatial en 3D polygonale pour la 32X, qui n'en manque décidément pas – il faut dire que le vide de l'espace aide bien les développeurs. C'est un honnête produit pour l'époque mais sans valeur ajoutée. Le jeu connut une obscure séquelle sur Saturn, jamais sortie de l'archipel nippon.
Kolibri [Novotrade]
Conçu par les créateurs de Ecco The Dolphin, dont il reprend la fibre écolo, à la demande des gens de Sega Of America qui recherchaient absolument à créer un motif d'achat de la 32X. Sorte de shoot'em up à déplacement libre, le jeu ne fut pas le succès escompté, faute de tonus dans l'action et d'objectifs aisément identifiables. N'en demeurent pas moins un raffinement esthétique bluffant, et une identité à part. Le joueur dirige un colibri doté de pouvoirs magiques, lequel doit protéger la Terre d'un cristal extraterrestre menaçant ses différents écosystèmes.
Metal Head [SEGA]
Jeu d'action 3D proposant des combats urbains entre mechas. Avec ses voix digitalisées et surtout son texture-mapping permanent, Metal Head est réputé pour incarner la véritable vitrine des capacités technologiques de la 32X, même si, jeunesse du hardware oblige, le tout manque singulièrement de finition. Correct sans plus, assez répétitif dans son gameplay, le titre est aussi connu pour contenir nombre de compositions nerveuses de Jun Senoue, future vedette de SEGA et guitariste de Crush 40. Comme un signe, Sonic apparaît sur une affiche dans l'un des niveaux...
Tempo [SEGA & Red Entertainment]
Tempo est un petit bonhomme utilisant le pouvoir de la musique pour dégager les mélo-haters du monde de Rythmia. Bref, un jeu de plateforme très coloré, malheureusement jamais édité en Europe : les cartouches 32X étant presque toutes zonées, l'importer était un recours inutile. Ses splendides graphismes évoquant le style cartoon de Rayman compensaient un peu le manque d'originalité flagrant du gameplay. SEGA insista pour imposer la marque au Japon, mais la série Tempo s'éteindra après deux épisodes supplémentaires sortis sur Game Gear et Saturn.
Mortal Kombat II [Midway]
Simplement la version la plus aboutie de son temps, même si certains prétendent qu'elle n'apporte pas grand-chose de plus que celle commercialisée pour la Super Nintendo. Cette dernière avait en effet décidé de réintégrer les gerbes de sang après le flop du premier volet.
T-Mek [Time Warner]
Portage assez fidèle du jeu d'arcade d'Atari sur 32X, jouable à deux en écran splitté. Dans un monde post-apocalyptique à la Dune, le héros est un pilote de T-Mek, sorte d'aéroglisseur sur sable, qui doit neutraliser ses semblables et le tout se pratique en vue subjective.
Zaxxon's Motherbase (aka Parasquad) [SEGA & CRI]
Un jeu de tir en 3D isométrique dont les ennemis sont représentés en polygones. Empruntant son principe au titre d'arcade du même nom né en 1982, le jeu y ajoute le concept de hacking : il est possible de dérober à certains ennemis leurs composants pour upgrader la navette. Pas très cogité ni peaufiné, comme la plupart des titres 32X, Zaxxon's Motherbase possède néanmoins un certain charme graphique. Bizarrement, selon que l'on soit aux Etats-Unis ou au Japon, le soft est présenté comme étant la séquelle de Zaxxon ou un jeu indépendant de la franchise...
Virtua Fighter [SEGA]
Conversion du classique du jeu de combat de l'AM2. Malgré des modèles plus simples que la mouture Saturn, mieux fournie en polygones, un certain nombre de joueurs considèrent la prise en main de la version 32X comme étant plus réactive et accrocheuse que celle de sa demi-soeur.
Darxide [Frontier Dev.]
Shoot'em up texture-mapped d'une difficulté prodigieuse, Darxide vous demande d'éliminer tous les astéroïdes et vaisseaux aliens d'un secteur en temps limité. Il est surtout le dernier jeu paru sur 32X : conçu à l'origine pour accompagner le lancement de la Neptune – un combo Megadrive/32X qui ne sera en fait jamais commercialisé – le titre ne verra le jour qu'en Europe, en quelques exemplaires seulement. Il est de ce fait l'un des jeux les plus chers qui soient en occasion, toutes consoles confondues, la cartouche se négociant autour des mille dollars et quelques. A noter la présence parmi les musiciens de Richard Jacques, qui sera par la suite intégré à Sega Of Europe pour superviser l'enrobage sonore de plusieurs productions maison durant la période Saturn.
Space Harrier [SEGA]
Conversion quasi-parfaite, la meilleure à l'époque, de l'un des premiers succès de Yu Suzuki. Elle sera plus tard terrassé par la réédition SEGA Ages.
After Burner Complete [SEGA]
Conversion quasi-parfaite, la meilleure à l'époque, de l'un des premiers succès de Yu Suzuki. La cartouche contient les deux premiers volets. Elle sera plus tard terrassée par la réédition SEGA Ages.
Liste Complète : BC Racers, Blackthorne, Brutal Unleashed : Above The Claw, Corpse Killer (MCD-32X), Cosmic Carnage, Fahrenheit (MCD-32X), Fifa Soccer '96, Golf Magazine : 36 Great Holes Starring Fred Couples, Motocross Championship, NBA Jam Tournament Edition, NFL Quaterback Club, Night Trap (MCD-32X), Pitfall : The Mayan Adventure, Primal Rage, RBI Baseball '95, Sangokushi IV, Slam City With Scottie Pipen (MCD-32X), Spider-Man : Web Of Fire, Star Trek : Starfleet Academy Starship Bridge Simulator, Supreme Warrior (MCD-32X), Surgical Strike (MCD-32X), Toughman Contest, World Series Baseball Starring Deion Sanders, WWF Raw, WWF Westlemania : The Arcade Game.
De nombreux jeux furent abandonnés en cours de développement suite au naufrage de la 32X.
En voici la liste non-exhaustive :
SEGA
- SegaSonic (MCD-32X) : adaptation du jeu d'arcade du System 32 jamais sorti des salles
- Sonic The Fighters : adaptation du jeu AM2, il faudra finalement attendre 2005 pour y jouer sur TV
- Sonic Mars : un Sonic du STI qui sera transformé en projet Saturn, le fantôme Sonic X-Treme
- Sonic Sports : basketball, volleyball et baseball avec les personnages de la Sonic Team, dont Ristar
- Daytona USA 32X : la conversion qui aurait pu changer le destin de l'humanité
- Aftershock : un titre de Sega Midwest apparemment focalisé sur les hélicoptères
- 32 X-Treme : un jeu multisports particulièrement porté sur la glisse
- Virtua Hamster : un jeu de course 3D mettant en scène des... hamsters dans des tuyaux
EDITEURS TIERS
- Jet Ski Rage : du jet-ski façon Wave Race, mais à la première personne [Velocity]
- Castlevania Bloodletting : ça planchait bel et bien sur un épisode 32X inédit [Konami]
- Flying Aces : simulation de shoot militaire située pendant la Grande Guerre [Rocket Science]
- Timmy Time : un jeu de plateforme avec le voyage temporel pour gimmick [Domark]
- X-Men 32X : les mutants dans un jeu d'action en 2.5D [Scavenger]