Tetho a écrit:Shenmue I&II (HD) :
18 ans plus tard je joue enfin au chef-d'œuvre de Suzuki Yû, j'en aurais mis du temps.
Dans un sens tant mieux, je profite des voix japonaises (bien) et de la traduction française (moins bien), ainsi que de quelques améliorations ici et là pas désagréables.
Alors la réponse à la question inévitable : oui, ça a vieilli. Et pas qu'un peu. Et pas qu'en bien.
Au delà du remaster de la paresse ultime qui se content de faire tourner les jeux en 1080p sans toucher au reste. Les dialogues et bruitages sont inclus avec la compression d'époque et sonnent étouffés, pas mal de textures sont soit pas assez détaillées, soit de résolution trop basse et semblent délavées, les cinématiques sont en 4/3, ce qui devient absurde pour celle du II qui étaient en 16/9 letteboxed à l'époque et qui du coup conservent les barres horizontales en plus des nouvelles latérales pour devenir fenêtré. Ça s'améliore un peu dans le 2 où les voix m'ont sembles plus claires, où les textures basse résolution se font assez rares, mais dans l'ensemble la présentation du jeu est d'époque, juste un peu plus fine et détaillée.
Coté gameplay, même combat. A l'époque le jeu étant sorti sur une console avec un seul stick on avançait avec la gâchette droite et on marchait/tournait avec la croix. Dans les faits ça donne à Ryô la maniabilité d'un 35 tonnes puisqu'il ne peut pas se tourner sur lui même mais avance un peu à chaque fois qu'il pivote, rendant els déplacements dans les espaces étroits assez laborieux. SEGA avait promis que le jeu serait jouable au stick, ils ont tenu parole mais au lieu de donner un schémas de contrôle moderne où Ryô se déplace dans la direction du stick ils se sont contentés de remaper la croix sur le second stick, ce qui rend les déplacement avec encore plus imprécis. S'ajoute à ça plein d'imprécisions plus mineurs, comme le fait que selon la situation le bouton qui sert à ouvrir le carnet de route de Ryô sert aussi de bouton d'action, ou le bouton pour parler sert aussi à ouvrir les portes, et pas mal de petits accrocs mineurs mais frustrants arrivent.
On m'avait vendu Shenmue comme un jeu vivant où l'on peut parler à chaque NPC, mais dans les fais soit Ryô va leur parler de son objectif actuel ("avez-vous vu une voiture noire ?", "Savez-vous où je peut trouver des marins ?", "Que savez-vous des Wude ?"...), soit ils vont lui refuser de lui parler, prétextant être pressé ou ne pas parler aux étrangers. Même remarque sur la liberté donnée par le jeu, quel intérêt de pouvoir rentrer dans toutes les boutiques de Hong-Kong quand la majorité n'a rien à nous vendre, quel intérêt de pouvoir ouvrir tous les tiroirs d'une commode quand tous sont vides ? Les éléments qui en faisaient un jeu avant-gardiste sonnent aujourd'hui creux.
Plus généralement le jeu dans son ensemble me semble ne pas savoir ce qu'il veut être entre un jeu d'aventure, un jeu de rôle et un jeu narratif. Ces trois composantes s'opposent régulièrement. Par exemple Ryô est un personnage plutôt creux, une convention de jeu de rôle pour que le joueur puisse mieux se projeter en lui, mais en même temps beaucoup de personnage lui disent qu'il est plein de colère et que sa soif de vengeance le détruira, alors qu'à l'écran il n'a jamais un mot plus haut que l'autre et fait traverser les grand-mères. De la même façon le jeu a un système d'expérience où plus on utilise une technique de combat, plus elle sera efficace, mais le second jeu est beaucoup plus orienté aventure et ne laisse que peu d'occasions de s'entrainer, pas même aux dojos locaux, du coup ce système ne sert pas à grand chose...
Coté histoire la quête de Ryô est prenante, matinée de poncifs de films d'arts martiaux, mais les personnages dans l'ensemble sont assez superficiels. Je pense surtout à Nozomi, la "copine" de Ryô dans le premier jeu, que Suzuki veut absolument présenter comme son intérêt romantique mais dans les faits à chaque fois qu'on va la voir ou qu'on l'appelle au téléphone ils n'ont rien à se dire. Chaque scène entre eux baigne dans un malaise palpable. J'espérais qu'une fois qu'il l'aurait sauvé des loubard qui l'avaient enlevée il se passerait quelque chose, mais même pas...
Ça s'améliore dans la seconde partie, Joy et Ren ont un peu plus de relief même si ils restent dans les clous de leurs archetypes. J'ai particulièrement appréciée la partie à Kowloon, même si la ville-forteresse du jeu avec ses grands espaces ouverts et ses couloirs de trois mètres de large ne ressemble en rien à ce que les images d'archive nous laissent imaginer. C'est le moment où le jeu tend le plus vers ses origines de Virtua Fighter RPG et l'ambiance y est vraiment cool (malgré l'interminable ascension de la tour Montparnasse infernale et ses tunnels de QTE relous).
Cette écriture un peu par dessus la jambe fini même par rattraper le jeu quand, à la fin du second opus, Suzuki est obligé d'organiser une interminable balade dans les bois perdus (sérieusement si il n'y avait pas de mini-map je crois que j'aurais eu l'impression de tourner en rond tant les mêmes assets sont réutilisés partout) et les faire discuter de banalité de façon un peu mécanique, "Shenhua, dis moi..." répété vingt fois, afin de créer des liens entre les deux de façon un peu artificielle.
Malgré tout ça j'ai apprécié les jeux. Il y a clairement une vision, même si maladroitement réalisée, derrière ce jeu et ça lui donne un charme propre. C'est un artefact d'une autre époque, un témoignage de quand il se cherchait encore de nouveaux horizons et formes. C'est fou ce qu'en 2018 faire un jeu qui ne donne pas un marqueur de quête à suivre à l'écran mais pousse le joueur à demander son chemin et suivre les instructions données en faisant attention à son environnement est frais. C'est aussi un jeu qui demande au joueur de prendre le temps et de ne pas rusher sa quête. Même si ça aussi peut se retourner contre lui quand il lui demande d'attendre 20 à 30 minutes ingame sans rien à faire d'autre.
Au final je dirais que Shenmue est un jeu auquel il est impossible de jouer aujourd'hui sans faire un gros effort de recontextualisation. Le jeu était peut-être visionnaire et avant-gardiste à l'époque, aujourd'hui il est vieilli et pas en bien, par chance pour lui son contexte suranné qu'il arborait déjà à sa sortie aide à faire passer la chose, mais il y a du plaisir à prendre pour peu qu'on sache l'aborder avec la mentalité d'un retrogammer.
SEGA a bien fait de remettre les jeux à disposition de la plupart des joueurs, ceux qui ne l'ont pas fait à l'époque et n'en ont entendu parler qu'à travers les louanges de ceux qui avaient été charmés pourront se confronter à la réalité et ces derniers pourront se confronter à leurs souvenirs. Le temps est le plus impitoyable des juges.
Et du coup j'ai revu les bandes-annonces du III, il n'y en a pas beaucoup, juste deux plus le leak du MAGIC, et je réalise à quel point Suzuki n'a rien montré de son jeu. J'ai même l'impression de mieux savoir à quoi ressemblera l'incompréhensible Death Stranding que ce Shenmue troisième du nom. Je suis curieux de voir à quel point il va coller à la recette d'époque et ce qu'il y aura de modernisé, mais dans l'état actuel ça sent méchamment le sapin...
En tous cas les ventes anecdotiques de ce remaster ont probablement conforté SEGA dans l'idée de ne pas avoir investit dans sa suite.
Du coup ça me conforte bien dans mon opinion : la ressortie de Shenmue 1&2, c'est surtout le meilleur moment de se lancer dans les Yakuza avec Kiwami.
Merci d'en avoir bavé pour nous tous, camarade.