Devil’s Third.
De nouveau un jeu laminé pour des raisons plus distrayantes qu’objectives, par des médias très soucieux du e-buzz que leurs excès engendrent dans une désinvolte facilité. Crucifié aux quatre coins du net telle la seconde venue d’un
Sonic Boom (déjà lynché au-delà du raisonnable) sur la même plateforme, le titre de Itagaki multiplie effectivement les maladresses d’exécution sans jamais décoller, mais pas dans les proportions invoquées par ses bourreaux. Oui le jeu a cinq ans de retard graphiquement parlant, et ses textures mettent fréquemment plusieurs secondes à charger ; ça n’est pas non plus inédit pour de l’Unreal Engine sur console. Oui le frame-rate s’effondre à quatre ou cinq reprises au cours de la campagne, mais reste accroché à 30fps la plupart du temps, un chiffre hautement conventionnel en matière de TPS, et pas si scandaleux compte tenu de la RAM modeste de la Wii U. De même, le combat rapproché est souvent vilipendé car il ne permet aucun combo élaboré ; nonobstant le fait qu’il s’agit d’un choix volontaire, afin que le multijoueur à seize ne se mue pas en collection de duels épars. Un mode solo trop frugal écrit-on aussi. Huit heures, cinématiques (obligatoires la première partie) incluses, comme 90% des jeux de sa catégorie. La caméra est souvent aux fraises, rien à redire à cela. En vérité, si toutes les critiques sont fondées, l’extrapolation dont elles font l’objet est étonnante. Impossible à recommander sérieusement au prix salé de 60€ - ma curiosité a succombé à 40 - il devient un soft envisageable pour un certain public en mal d’atmosphère nanar et de
roughness en dessous d’une certaine somme ou bien d'occasion.
Le mode solo, composé de neuf missions, possède une histoire de série B abracadabrantesque qu’un amateur d’
actionner des années 80’ ou 90’ ne pourra qu’affectionner. Lorsqu'une équipe de terroristes, le SOD, balance une bombe électromagnétique dans l’espace pour restaurer le communisme soviétique dans le monde (déjà ça fait envie), les USA convoquent le
badass tatoué Ivan, leur ancien allié repenti enfermé dans les sous-sols de Guantanamo, pour aller leur latter la gueule dans leur repaire. Ce dernier, sorte de John McLane russe mais dénué de tout sens de l’humour (scénario made in Japan oblige) devra affronter ses ex-collègues bigarrés : Big Mouse, le panaméen de deux-mètres cinquante spécialiste des armes chimiques, Saha, le lutteur noir qui pense que le communisme va stopper la famine en Afrique, Jane Doe, l’américaine mi-pute mi-geisha qui possède une armée de ninjas à ses ordres, Ludmilla, la bombasse blonde adepte du camouflage optique à la GITS et bien sûr le grand chef Kumano, samourai sexagénaire qui a voué sa vie à l’Armée Rouge et ancien mentor de Ivan. Le plus fort dans tout ça étant que, finalement, ce salmigondis est raconté par le sieur Itagaki avec un sérieux déconcertant, ponctué de moults moments geeks faisant intervenir plein de vrais blindés-armes-trucs de military otakus à la
New-York 1997, entre deux attaques de mutants génétiquement modifiés façon
Resident Evil du pauvre. Pour l’anecdote, seul Nintendo France a jugé utile de produire des sous-titres (en français donc) pour le jeu en Europe, un volontarisme d’acier. Le doublage américain d’Ivan, par un comédien semble-t-il d’origine slave, est assez réussi.
Sur la forme, le level-design à base de couloirs puis arènes, est si classique qu’on ne saurait lui accorder de crédit particulier ; banal la plupart du temps, il offre quelques moments de bravoure tel Ivan affrontant un hélicoptère seul sur un pont suspendu à des centaines de mètres de haut, ou la très bonne huitième mission se déroulant dans des tranchées de la Seconde Guerre Mondiale, sur fond de Wagner grandiloquent. Si les espaces n’autorisent qu’une liberté de déplacement toute relative, il faut souligner la fréquente possibilité de grimper sur de nombreux murs et obstacles pour prendre de la hauteur, une orientation verticale salutaire. Le core-gameplay original du jeu, qui propose d’alterner entre pugilats au corps-à-corps et FPS, ne fonctionne qu’à moitié, certains ennemis étant bien trop coriaces pour être défaits au sabre, et quelques situations suggérant d’éviter de foncer dans le tas comme on le voudrait. La visée non plus n’est pas des plus précises, ce qui lui valut pas mal de critiques des testeurs, et les petites fluctuations occasionnelles de frame-rate n’aident pas. Rien de rédhibitoire, mais en dépit des efforts du Super Mario Club,
Devil’s Third n’est certainement pas au niveau des canons de maniabilité usuels Nintendo – il faut dire que la société n'est pas habituée à ce type de productions. Le Pro Controller est par ailleurs bien plus indiqué que le GamePad sur ce jeu, du fait de la vigueur de certaines escarmouches qui nécessite de malmener les sticks. Globalement, le jeu n’est pas très difficile en-dehors des duels contre les boss, pénibles et adeptes des
one-hit deaths, et de deux ou trois séquences plus délicates, en particulier contre les molosses en power-armor. L’IA des ennemis est risible, parfois incohérente, mais ça ne constituerait un critère déterminant que si
Devil’s Third était un jeu d’infiltration, ce qu’il n’est pas. Il faut néanmoins apprécier l’ambiance du titre ou vouloir expérimenter toutes ses armes et techniques pour y trouver davantage qu’un gameplay moyen ne tirant que modérément profit de ses spécificités, la finesse n’étant généralement pas l’axe prioritaire du soft.
L’autre gros morceau, c’est le
multijoueur exclusivement online. Bien qu’il conserve la plupart des défauts de la campagne solo, défauts auxquels il faut ajouter des temps de chargement un peu longuets, il est en revanche particulièrement complet : une dizaine de cartes (peut-être d’autres à venir), dix modes de jeu individuels différents et souvent bien bourrins (dont une moitié sont révélés par Nintendo à un rythme hebdomadaire), pas mal de possibilités de customisations, et surtout le très élaboré Mode Siège, oeuvrant en continu, dans lequel il est possible de fonder un clan, d’en rejoindre un déjà constitué ou de devenir mercenaire. Suffisamment sophistiqué pour celui qui aurait le temps de s’y consacrer, il permet de construire et d’équiper des bastions, de recruter des soldats, des véhicules de soutien, de signer des pactes de non-agression avec d’autres clans etc... Au joueur de trouver les meilleures combines pour gagner sans trop de sueur de l’EXP et des Dollens (monnaie commune des USA et du Japon) afin de se procurer le meilleur équipement parmi les dizaines d’armes disponibles, toutes améliorables. Dommage qu’un système de micro-transactions (facultatif et discret mais déshonorant en soi) incite les plus fortunés à acheter des Oeufs Dorés, la denrée rare ouvrant le droit aux accessoires de
upgrade. Le frame-rate connaît parfois quelques loupés lorsque fumigènes et explosions sont de la partie, mais demeure correct la plupart du temps. On apprécie aussi le suivi Nintendo, héritage de
Splatoon, avec ses évènements temporaires permettant de multiplier ses EXP par 5 en jouant à tel ou tel mode durant des périodes limitées.
Le plus grand ennemi de ce sympathique multijoueur, outre sa caméra têtue, est finalement le nombre très réduit de joueurs connectés sur les serveurs, le grand-public ayant fui
Devil’s Third suite aux tests incendiaires de la presse. Ce qui veut dire des temps d’attente importants. On se demande, malgré les effets de la modération de Nintendo et Valhalla, si le jeu pourra conserver un fandom sur la durée alors que les loli-calamars de Big N marchent du tonnerre et que se profilent des titres extrêmement chronophages sur la console,
Super Mario Maker et
Xenoblade Chronicles X notamment : à ce titre, aussi vrai que je peux comprendre que les serveurs européens du jeu aient été séparés des serveurs japonais à cause du système des clans, il serait idiot d’en faire de même pour les serveurs américains lorsque le jeu paraîtra là-bas début Décembre. Nintendo condamnerait son jeu à ne pas franchir le cap de 2016 s’il était décidé que les joueurs européens et américains ne fréquentent pas les mêmes contrées numériques au même moment.
Il y a au moins vingt jeux à jouer sur Wii U avant
Devil’s Third, mais aussi vingt bonnes raisons de regretter que la culture du clash soit devenue l’alpha et l’omega du commentaire vidéoludique. Rescapé de conditions de production déplorables, le jeu du frimeur Itagaki est aussi gauche qu’ambitieux, aussi perclus de défauts que traversé par l’enthousiasme juvénile de son réalisateur, et s’il n’excelle en aucun point du fait de sa technique datée et de contrôles un peu trop souvent approximatifs, qu’il fait pâle figure à côté des mastodontes d’en face comme
Metal Gear Solid V, son contenu lui confère une rejouabilité honnête se comptant en plusieurs dizaines d’heures. Une série B obsolète façon
Duke Nukem Forever, dans tous les sens du terme, sortie cinq ans trop tard. Le destin de la licence est déjà tout tracé, les oubliettes, mais je n’aurais sans doute pas dit non à ce qu’Ivan revienne tenter sa chance sur NX avec un jeu mieux conçu, et devienne le vilain (et violent) petit canard du catalogue Nintendo.
Une version F2P du mode multijoueur devrait paraître ultérieurement sur PC.
Dernière minute : Nintendo annonce que le développement de
Pikmin 4 est bientôt terminé. On ignore pour le moment si cet épisode sortira sur Wii U, (New) 3DS ou NX. Le plus probable est qu’il s’agit d’un titre Wii U fait à l’économie et utilisant le même moteur que le précédent volet, pour alimenter la console en titres moins vendeurs durant cette année 2016 de transition, probablement la dernière de la plateforme. Et conserver les gros jeux pour la génération suivante.