de Gemini le Sam 18 Nov 2017, 00:21
Logan Lucky : Steven Soderbergh fait partie de ces réalisateurs dont je suis la carrière avec intérêt. Il s'agit d'un des rares cinéastes hollywoodiens à alterner petites productions indépendantes, divertissements grand public, et véhicules à récompenses ; de mémoire il reste le plus jeune vainqueur de la Palme d'Or. En fait, je crois même qu'il s'agit du seul à pouvoir effectuer un tel grand écart. Il avait plus ou moins mis son travail derrière la caméra en hiatus, et cela fait du bien de le voir revenir avec Logan Lucky, film dont le scénario aurait été écrit par une illustre inconnue, amie de sa femme.
L'histoire est celle de la fratrie Logan, supposément maudite : le grand frère (Jimmy) a vu son ascension sportive brisée nette dans un accident, le petit frère (Clyde) a perdu son bras en Irak, et la petite sœur (Mellie) travaille dans un salon de coiffure. Après son licenciement, Jimmy monte le braquage d'un circuit automobile. Pour se faire, il va avoir besoin non seulement de sa famille, mais aussi de Joe Bang, spécialiste des coffres-forts, actuellement incarcéré.
J'avoue avoir eu très peur au début du film, lequel commence sur une descente aux enfers toujours plus profonde dans le quotidien de Jimmy et Clyde. Handicapés, l'un sans emploi l'autre moqué par certains clients, Jimmy ne pouvant pas voir sa fille autant qu'il le voudrait à cause de son divorce, nous sommes à mille lieux de l'ambiance gentlemen cambrioleurs d'Ocean's Eleven, auquel ce long-métrage fait immédiatement penser en raison de son thème - le montage d'une équipe suivie d'un braquage - ainsi que de son réalisateur. Sauf que ce serait plutôt Ocean's Eleven écrit par les frangins Coen. C'est un compliment.
Les Logan ont ce côté perdants magnifiques cher aux Coen, entre leur extraction white trash, leurs tares, et surtout la légende tenace de porte-poisses qui leur colle aux basques. Tous les personnages sont à l'avenant, entre la sœur pilote chevronnée, l'ex-femme qui calcule les calories mangées par sa gamine et la pousse à participer à des concours de beauté, le nouveau mari beauf et irresponsable mais friqué, Joe et son faux sel, ses frangins d'une stupidité sans limite, et j'en passe. Les acteurs sont épatants : Daniel Craig se fait plaisir dans son rôle de débile peroxydé, Adam Driver prouve qu'il sait faire mieux que jouer les adolescents trop dark qui écoutent du Marilyn Manson, et Channing Tatum continue avec brio la déconstruction de sa réputation de beau gosse sans cerveau.
Le braquage lui-même parait sur certains points complètement exagéré, mais le film regorge de trouvailles dans les dialogues, les situations - mention spéciale aux revendications des détenus de la prison de Monroe - avec un vrai sens du rythme comique et du rythme tout court. Passée une entame laborieuse, c'est très plaisant à voir. Et en même temps, l'entame nous a tellement présenté ses antihéros comme abonnés à l'échec qu'il est impossible de réellement savoir comment tout cela va finir. Steven Soderbergh a produit son long-métrage en dehors du système des studios - Universal se borne à le distribuer - ce qui peut lui permettre de prendre les attentes du public à rebours, et donc de devenir imprévisible.
Logan Lucky est un film qui se bonifie au fil des minutes, pour atteindre une véritable maitrise dans son scénario et sa mise-en-scène. J'ai vraiment apprécié l'expérience, et j'espère que la scénarise - qui qu'elle soit - continuera son beau travail, de préférence avec Steven Soderbergh.