Dès le lever du soleil !
Ialda a écrit:Quand tu parles des semi-instruits c'est la médiocratie et l'expertocratie que tu as en tête spécifiquement ?
Ca se rejoint, en tous cas. A cet instant je pensais surtout à deux choses. Primo aux guichetiers de Twitter qui servent de chambre d’écho argentine à l’exécutif. Secundo au fait que le système français n’ayant plus d’élites, au sens intellectuel et culturel du terme, il présente aujourd’hui comme telles ses quelques rompus au discours d’entreprise. Nos voisins, en particulier anglais et allemands quoiqu'il y ait à penser desdits modèles, ont eux conservé une haute administration de lettrés, formés à l’histoire, à la psychologie politique et à la diplomatie. Lécher des semelles, graisser des pattes y est recommandé mais insuffisant. Dans la plupart des pays du monde, des spécimens comme Castaner, Schiappa ou la quasi-intégralité des parvenus macroniens, même doués en reptation, changeraient les ampoules dans les coursives. En France ils sont le haut de la pyramide sociale, assurés de demeurer à vie dans des comités Théodule aux existences plus fictives les unes que les autres.
Quant à De Gaulle, effectivement il a vu de quel bois rongé par les punaises était fait l’esprit bourgeois. Mais les médias ont immédiatement écrit un autre scénario, un peu moins gênant, dans lequel le déshonneur ne fut que la conséquence d’une vague extrême-droite anonyme. En ce moment c’est un peu l’inverse, ou plutôt le complément ; la soudaine recrudescence de ceux qui affirment que les rouges étaient les passeurs de plat du Reich. Parce que c’est plus fort que nous, on ne peut pas concevoir que l’acceptation du totalitarisme se fasse par le centre. Même si la liste des députés compromis et des fonctionnaires les plus zélés est connue. Ce n’est pas une donnée utile au momentum économique, alors elle n’existe pas. Je présume que les mêmes mécanismes psychologiques sont à l’oeuvre depuis.
Le plus déconcertant est de regarder les choses dans leur espace-temps. L’officier germanique de 1940 n’allait pas menacer les parisiens la bave aux lèvres sur le ton de
"Nous prenons votre pays, soumettez-vous". Il leur disait, le plus calmement et sincèrement du monde,
"Nous prenons la France pour femme, et de ce mariage naîtra l’Europe". C'est lyrique. Des expositions, des affiches, des conférences étaient montées sur ce thème, ainsi que la perspective de la fin des barrières douanières sur le continent. -
Das Neue Europa-, dixit le petit enragé. On le voit dans les documents mais aussi, entre autres, dans le superbe
Le Silence De La Mer, adaptation par Melville du livre du même nom. Alors par quelles manoeuvres giscardo-mitterrandiennes a-t-on pu faire de l’Europe l’idéal antipodique de cette démence, c’est assez fantastique. Quand j’ai su ça j’ai commencé à douter que le centrisme soit autre chose que le moyen centriste de parvenir à quelque chose d’absolument pas centriste.
Ton post précédent évoquait un peuple fatigué/dépité auquel on pouvait faire avaler n’importe quoi de kafkaien. Il faut faire l’Europe pour combattre le projet qu’avait la funeste Allemagne de faire l’Europe. Il faut désosser le service public hospitalier pour avoir un service public hospitalier plus robuste. Il faut que les non-vaccinés se vaccinent pour ne pas contaminer les personnes déjà vaccinées. Après-demain, on trouvera peut-être logique que le salarié doive rémunérer le patron pour mériter de travailler pour lui. Ou que le plein exercice de la citoyenneté soit conditionné à la consommation de drogues labellisées par le gouvernement. Si
les modérés qui nous protègent depuis cinquante ans contre les extrêmes fascistes et bolchéviques le demandent, c’est que refuser cette solution doit mener à pire.
La critique est facile surtout vu l'ampleur de la tâche, mais vraiment dommage de ne pas avoir imposé son idée de la participation quand il le pouvait encore - en tout cas avant le grand retour de la bourgeoisie décomplexée au pouvoir dans les années 70...
Sûrement, cette option devait rencontrer d’immenses oppositions. Il se trouve que, sur le plan extérieur, c’était aussi la période prometteuse du mouvement des pays non-alignés, qui bien qu’essentiellement symbolique, exaltait le refus de la mondialisation atlantiste. Sans revenir sur le rapprochement voulu avec le Canada francophone. De là à croire que le célèbre "soulèvement spontané" de 1968 n’est pas venu que d’un irrépressible besoin de tripoter la voisine à l’arrière de la Renault 4L...
J'ai peut-être tendance à m'enfermer dans l'idée que la déculturation est un problème central parce qu'elle t'enferme dans un imaginaire et des représentations que tu n'as pas choisis et que tu ne maitrise pas.
Ca paraît viable de penser que la déculturation joue un rôle dans le craquèlement du mortier social français. Plus je compare, plus j’ai cette impression peut-être chauvine que l’hexagone a subi une acculturation US depuis le milieu des années 70 qui n’a pas franchement eu d’équivalent, en fait. Même les auto-représentations du Japon n’ont pas été malmenées de cette façon par des années de domination réglée, soit parce que l’idéologie politique individuelle n’y avait pas sa place, soit parce que le caractère insulaire a servi de parapet. Objectivement, l’effet du racialisme véhiculé par la "deuxième gauche" au bout de vingt ans est assez net. Des milliers de Français Noirs qui n’avaient rien demandé mais qu’on a poussés à se prendre pour des Noirs Américains. C’est-à-dire au bout du chemin, des contrefeux sociétaux aux quatre angles et un pays dépolitisé (tout en étant persuadé de l’inverse, syndrôme du demi-instruit) qui constitue une proie de choix. D’ailleurs, pas une multinationale ne manque de répondre à l’appel du
woke. Ils feignent de soutenir l’épouse contre le machisme du mari pour mieux laisser sa hiérarchie la traiter comme un fusible. Ils bannissent la voiture d’occasion en centre-ville pour signer des traités de libre-échange avec le Brésil et le Vietnam, dont un unique cargo pollue comme un million d’automobiles. C’est un vieux tour de magicien.
Et encore, les américains à travers leurs excès de toutes sortes entretiennent le culte quasi-mystique de la Liberté ; ce n’est pas notre cas, et ce le sera de moins en moins au fur et à mesure que la Chine va également imprégner nos valeurs et comportements. La cohabitation dans le même cerveau de trois personnalités inconciliables fera du grabuge.
Même ressenti global sur le dernier paragraphe.
Une réaction des classes dominantes devait donc logiquement s'ensuivre.
Je crois que les pays qui s’en sortiront le moins mal sur le plan éthique sont ceux qui ne confondent plus voter et élire. Suisse et Royaume-Uni (brisé en mille morceaux par le Brexit comme chacun a pu le constater) ont une chance de garder la tête hors de l’eau. Un léger sursaut populaire en Italie n’est pas entièrement exclu. Mais il n’y a pas immense espoir s’agissant de la France, ses Codes QR, ses McFly et Carlito et ses Jean Luchaire par containers entiers. Mise à l’encan par les mêmes, mêmement soutenus par les mêmes.
Pendant ce temps, la BCE vient de lancer son programme de création de l’euro numérique à destination des particuliers et des entreprises. Les Grecs se souviennent encore ce que dépendre du bon vouloir de ceux-là implique.