Tetho a écrit:Les mécanismes de l'inflation sont quand même relativement connus. Et si dans les 30 glorieuses elle était galopante c'est parce qu'il y avait création de richesse, il fallait donc augmenter la masse monétaire pour le représenter. Dans ce contexte l'inflation est une bonne chose. Mais si en ce moment on augmente la massé monétaire sans qu'il y ait la richesse, on ne fait que dévaluer le prix de l'argent, et donc augmenter celui des marchandises, services et produits de consommation.
Il y a une autre façon d'envisager l'inflation.
L'inflation survient lorsque les banques "créent" (c'est-à-dire prêtent) énormément d'argent pour investir. L'inflation dans l'immédiate après-guerre ne s'est pas faite "après" la création de richesse pour que la masse monétaire lui corresponde, mais avant, pour financer avec du grand crédit lesdites créations de richesse : grands travaux (routes, ponts, bâtiments, lignes électriques) et biens de consommation (maisons, voitures, meubles, casseroles).
L'inflation veut dire qu'il y a de l'argent "créé" et injecté dans l'économie, c'est-à-dire circulant ; pour qu'elle soit un facteur positif, il faut qu'elle corresponde à une production économique, voire à des exportations, pour qu'après-coup, les prêts aux banques soient remboursés et que la banque détruise l'argent "en trop", ne demeurant plus que la richesse physique créée. La monnaie et la circulation de la monnaie n'étant au final qu'un outil au service de l'organisation du travail et de l'économie, et non pas une fin en soi.
L'inflation intéresse donc ceux qui ont des idées et qui vont bosser (à savoir particuliers, salariés, ouvriers, cadres, et même industriels - à titre à la fois personnel parce qu'ils ont des crédits sur le dos et non de l'épargne, et professionnel parce que inflation = investissement = industrie = boulot = occupation = enrichissement), parce que ça permet l'accès au crédit, ça permet la dévaluation de la monnaie ce qui permet d'exporter plus facilement nos produits, et donc d'importer les produits des autres dont on a également besoin.
L'inflation n'intéresse pas les rentiers et ceux qui font de l'argent avec de l'argent, ce qui font "tourner" l'argent, à savoir les hedge funds, les vieux rentiers qui ne travaillent pas et les gens de la finance. Les "vieux rentiers" pouvant très bien être les industriels de la première période.
L'inflation n'a jamais été une mauvaise chose en soi. Elle l'est devenue dans l'esprit public depuis que le seul référent dans le discours économique est l'intérêt de ceux qui ont déjà de l'argent et qui veulent le garder, le garder intact, et le faire multiplier sans que ça ne corresponde justement à une activité économique quelconque.
Vous avez parlé de la loi dire du 3 janvier 1973 plus haut. Il est effectivement absurde de prétendre qu'elle est le résultat d'un complot entre politicards et milieux financiers. Non pas parce que l'idée même du complot est absurde (des gens qui ont le fric et le pouvoir (qui à un certain niveau se confondent) et qui veulent le garder par tous les moyens, y compris occultes? je n'ai aucun mal à imaginer ça en ce qui me concerne), mais parce qu'il s'agit d'une analyse anachronique par rapport qu'était le milieu financier à l'époque, qui était pointé du doigt depuis la crise de 1929 comme un milieu d'escrocs et de destructeurs sociaux et économiques. Le milieu financier a été très rapidement mis à mal partout en même temps depuis les années 30, même en Amérique, et même en Angleterre. Il a commencé à se refaire une santé en Angleterre à partir des années 70 et surtout 80, puisque la régulation de la finance par l'Angleterre ne concernait que les transactions faites en livres sterling, ceux qui pariaient avec des monnaies étrangères faisaient donc ce qu'ils voulaient. C'est sous Reagan et Thatcher surtout que ce milieu s'est refait la santé qu'il avait au début du siècle, avant de très très rapidement crasher en 87, relancée par l'avancée technologique fulgurante du micro-ordinateur (le dernier film de Scorsese montre quand même les traders vendre leur poubelle au téléphone), puis en 2000, puis en 2008, puis en 2011, puis etc. etc. etc., preuve quand même que c'est un milieu de fous furieux qui explosent pour la plupart en plein vol au bout d'à peine un ou deux lustre de "boulot".
On l'appelle récemment la loi Pompidou-Giscard-Rothschild en référence au fait que Pompidou était un cadre de la Banque Rothschild. Si on parle bien de la banque de Guy de Rothschild, en France, il faut savoir qu'elle ne pesait strictement rien, la famille Rothschild ayant été particulièrement malmenée en France et n'ayant pas vraiment connu le même succès que dans les pays anglo-saxons.
La Loi de 73 n'a pas été "conçue" pour produire les conséquences qui ont suivi.
Elle a été conçu par deux types de personnes, les premiers étant très liés aux seconds, et les raisons des premiers très liés à celles des seconds. On va dire que les premiers étaient les gaullistes et les seconds les européistes pour faire très très simple et très très caricatural.
Les premiers avaient une motivation économique : ils voulaient effectivement contenir l'inflation en obligeant l'état à aller se financer dans le privé, l'état étant beaucoup moins enclin à aller emprunter au privé, et le privé étant également beaucoup moins enclin à prêter, la relation entre les deux n'étant que strictement économique et non pas incestueuse donc politique comme entre la Banque de France et l'état. Et le fait économique était que le capitalisme d'après-guerre vivait à ce moment-là une crise structurelle : les grands travaux sont tous terminés, tout le monde a une bagnole ou deux qui tiendra des années et n'en rachètera pas, et tout le monde a des casseroles, et il n'y a pas de nouvelles idées d'envergure pour radicalement relancer la production industrielle et justifier de nouveaux investissements massifs. Nous ne sommes jamais réellement sortis de cette crise structurelle même si entre temps il y a eu entre autres les ordinateurs ; en ce moment, on est en train de gratter les derniers bouts de viabilité économique de notre système en produisant une nouvelle génération de smartphones tous les trois mois à 300 euros de plus et en introduisant le principe de l'obsolescence programmée dans toute la production industrielle, ce qui est vraiment minable.
Cette crise structurelle du capitalisme a été qualifiée de "premier choc pétrolier", mais en aucun cas elle ne s'est résumée à ça.
Cette crise arrivait juste après la mort du Général de Gaulle, qui était considéré par les gaulistes comme un übermensch sans ego qui n'oeuvrait que pour le bien de la France, exactement ce dont vous parliez plus haut. À mon avis, ce respect était mérité avec tout ce qu'il a fait pour la France : CNR, désengagement de l'OTAN, réaffirmation de l'indépendance de la France d'un point de vue général, etc.
Avec la mort de de Gaulle, les gaullistes ne faisaient plus confiance à personne, d'où la loi de 1973 pour "dépersonnaliser l'état" et obliger ses successeurs à s'en tenir à l'économie. Parce que comme dit Tetho, la planche à billet entre des mains peu scrupuleuses, c'est dangereux pour l'économie et le tissu social à terme.
Les seconds n'avaient pas une motivation économique (fut un temps très très récent où je pensais que la "maturité" consistait à expliquer toutes les politiques par le strict fait économique (comme les Marxistes), ce qui est évidemment une absurdité). C'était les européistes qui détestaient de Gaulle et voulaient faire l'Europe fédérale, et pour ça, il fallait ôter à la France, et à tous les pays d'Europe, un par un tous les attributs de la souveraineté des états, parce que les états européens = la guerre, tout simplement. Aussi con que ça. Il y en a qui croient que ça n'existe pas, vous lisez les mémoires de Jean Monnet et ce qu'elles comportent de délire parfois métaphysiques, tout bêtement.
À un moment X, donc, les uns et les autres ont été obligés de collaborer et de pondre cette loi. Quelqu'un comme Olivier Wormser était clairement dans la première catégorie, et Jean Monnet ainsi que les ancêtres de Jacques Delors étaient dans la seconde.
Le problème, c'est qu'à partir de cette loi, l'inflation a justement explosé.
Comme quoi, tout ce que ça a fait, c'est déplacer la capacité de "créer" de la monnaie du public vers le privé, avec le privé qui touche une part pratiquement gratuitement, ne gérant pas mieux les finances d'un pays que les élus.
L'idée d'une "gestion dépassionnée et mécanique de la chose publique" en la confiant à des gens qui oeuvrent presque mécaniquement selon des intérêts strictement économiques date pratiquement du 17e siècle (alors que les gens ont commencé à penser qu'il est peut-être possible de faire fonctionner une société sur le modèle des sciences naturelles, avec des lois immuables, des engrenages, des effets action-réaction, etc., pour éviter qu'il y ait encore des massacres de masse et autres joyeusetés de la politique et du pouvoir), comme le rappelle dans chacun de ses bouquins Jean-Claude Michéa. Ça ne date pas de Karl Marx. Le problème, c'est que ça n'a jamais existé dans la réalité, jamais des institutions ne se sont mises à fonctionner exactement comme on l'avait prévu sur un modèle presque scientifique. L'idée perdure encore, surtout aujourd'hui, surtout après la Seconde guerre mondiale.
Aer a écrit:Y'a watmille partis en France, pourquoi choisir le FN plutôt qu'un autre ?
Parce que tout le monde s'en bat les couilles des autres partis.
Le plaisir, c'est de voir tous les culs-blancs à la télé se chier dessus en voyant le score du FN. Aucun autre parti ne provoque ces réactions. Si Mélenchon avait eu le score du FN aux Européennes, je suis prêt à te parier n'importe quoi qu'il n'y aurait pas eu de spectacle guignolesque à coups de "aujourd'hui est un jour sombre pour la République, pour la France, et pour la Démocratie". Or c'est justement ça qui fait plaisir. C'est Coluche qui disait "Ensemble, foutons-leur au cul !"
Tetho a écrit:Le peuple, et je m'inclus dedans, ne sait pas ce qui est bon pour lui, il vise ses intérêts à courts et moyen terme, il manque de recule, se laisse manipuler...
Il y a un autre problème encore plus fondamental : "le peuple", ça n'existe pas. C'est un magma d'individualités qui n'ont aucune communication entre elles, peu d'intérêts communs, peu d'ambitions communes, peu de désirs communs, et qui n'a pas une volonté commune. "Le peuple s'est exprimé", c'est une fiction.
Zêta Amrith a écrit:Le droit de vote se confond, depuis au bas mot 1983, avec le droit de choisir quels comédiens-fusibles intercaler entre des intérêts supérieurs inamovibles et l'océan de cons sans Rolex.
Tu es gentil, il y a des gens qui prétendent que ça date de 1870 voire de 1815.
Depuis toujours quoi.
Et chui pas loin de les croire...

Aer a écrit:C'est moi qui ait le plus grand mal à comprendre pourquoi l'esprit Français ne se résume qu'à une idée d'alternance depuis la fin de la WWII.
C'est tout l'esprit du monde occidental, qui a définitivement renoncé à l'idée même de politique, après la Seconde guerre mondiale. (Les premiers germes de ce renoncement datent des guerres civiles de religion). Karl Marx en parlait déjà lorsqu'il disait que la chose publique est passée d'artefact à spectacle aux yeux du commonman. Ces histoires d'élections ne sont qu'un simulacre pour un peu "légitimer" les pouvoirs des personnages interchangeables des appareils d'état.
Ialda a écrit:Ah, si, une conséquence de la création de masses d'argent frais, c'est que vous enrichissez les premiers récipiendaires par rapport au reste de la population, du fait que l'argent nouvellement créé ne se propage pas instantanément dans l'ensemble de l'économie.
A chaque fois que vous faites fonctionner la planche à billets, vous enrichissez Wall Street. Magique.
Pour le moment ça n'enrichit que dalle, "l'argent créé" n'étant jamais "gratuit", il ne s'agit que de prêts à plus longue échéance et à moindre taux d'intérêt qui servent à payer d'autres obligations à plus brève échéance. C'est littéralement rien que ça. Dans le jargon, on appelle ça une fuite en avant. C'est aussi con que d'emprunter 150 euros à ton pote X à 2% d'intérêt annuel remboursables dans six mois pour payer le prêt à ton pote Y de 100 euros à 10% d'intérêt mensuel sur cinq mois qui est dû dans quinze jours. Ça nettoie ton bilan momentanément des obligations les plus pressantes, et ça permet de respirer encore quelques temps.