Grâce à Aphex (mille mercis à lui), j'ai pu relire
Nausicaä. Paradoxalement alors que je le cite toujours comme mon manga préféré ce n'est que ma 4eme lecture du titre et la première en 5-6 ans.
Reste que ça m'a confirmé dans ce que je pensais, c'est le meilleur manga qui existe. Peut être parce que ce manga une anomalie écrite par un animateur dans un magazine se destinant aux fans d'animation, seul maître à bord, sans assistants ni responsable éditorial. Libre des limites propres aux magazines de mangas, Miyazaki pouvait ainsi les ignorer, les dépasser, les transcender. On pourrait faire un lien avec
The Five Star Stories, autre manga atypique paru dans un magazine parlant animation, mais Nagano est avant tout un illustrateur et pas un animateur, ce qui change pas mal la donne. Si je dois citer des mangas qui s'approchent de
Nausicaä, sans toutefois l'égaler, je ne vois guère qu'
Akira et
Hi no Tori, autres chefs d'œuvres de génies.
Nausicaä est une œuvre épique et fabuleuse (attentions, les vrais "épiques" et "fabuleux", ceux qui ont du sens, pas les EPIC !!! et AWESOME !!! dont Thalistes affublent le moindre anime un peu hype) malgré sa brièveté (7 volumes et un nombre total de page qui doit à peine dépasser les 1000). Pur produit des années 80, avec ses pouvoirs psy de partout, ses insectes géants et tentaculaires, son mélange SF/Fantasy aux influences ouvertement reconnues...
Comme pour
Akira, l'anime n'est qu'une version tronquée de ce qu'est réellement
Nausicaä et les révélations clefs de ce dernier ne sont que le point de départ du manga pour une vision plus vaste et complexe. Les morceaux de bravoure sont nombreux, comme la fantastique charge de Kushana pour briser le siège à la fin du volume 3, ou l'incroyable confrontation avec le maître du cimetière où la tension devient palpable.
Le manga est porté par la force du personnage de Nausicaä, personnage tellement fort qu'elle influera directement sur le destin de tout ceux qu'elle rencontrera, poussant certains à leurs pertes et d'autres à la rédemption. Nausicaä est clairement l'archétype de l'héroïne de Miyazaki, forte, intelligente, responsable, et son évolution du début à la fin est incroyable. Gagnant en détermination et force de caractère, devenant réellement messiatique en acceptant de prendre sur elle les pires péchés au nom de l'humanité. Le seul personnage qui a une ampleur comparable est Kushana, seul autre personnage à avoir le droit à sa couverture dédiée ce qui n'est pas rien, mais même elle et son karma ne font pas le poids face à l'évolution de la princesse de la vallée du vent et elle passera au second plan sur la fin.
Cette relecture fut aussi l'occasion de me rendre compte à quel point Anno, dont l'admiration pour Miyazaki est connue, a pioché dedans. La conditions de la mère d'Asuka ou le "Tu peux revenir si tu en as la volonté" que l'on trouve dans
Evangelion sont deux exemples de concepts pris à
Nausicaä et à peine modifiés.
Bien sûr tout n'est pas parfait ou idéal, notamment la façon dont tombent les révélations à la fin. Tout le passage dans le jardin du cimetière semble un peu forcé, un peu maladroit dans la manière dont il arrive. Mais la cohérence de l'ensemble est incroyable quand on pense que le manga a été dessiné sur 5 périodes bien distinctes étalées sur 12 ans, alors que son auteur a profondément changé tout du long dans ses convictions et qu'il le dessinait sans réel plan ni scénario décidé à l'avance.
Artistiquement
Nausicaä montre totalement les origines de son créateur, il n'y a pas un trait droit et tracé à la règle, pas même les bords des cases ! Tout semble organique et en mouvement constant, y a un dynamisme incroyable. Miyazaki utilise très peu de trames aussi, préférant les hachures à la main, et les utilise plus pour marquer le contraste que pour colorer ses cases.
Autre particularité de
Nausicaä, son rythme et sa mise en page, plus proche d'une BD que d'un manga. Probablement l'influence de Moebius sur Miyazaki, aidée par le format A4 d'
Animage dans lequel le manga serait publié et lui offrant plus de place qu'un manga classique.
Nul doute que
Nausicaä est l'œuvre de la vie de Miyazaki, celle qui l'a accompagnée durant les 15 ans qui constituent son âge d'or en tant que réalisateur (de
Nausicaä à
Mononoke), celle qui plus que toute autre montre que celui qu'on réduit trop souvent à un écologiste féministe est avant tout un humaniste, celle qui permet de suivre les évolution de son auteur tout du long de sa création, plutôt qu'à l'instant de sa création comme ses films. Un manga unique, simplement sans égal.