
Réalisation : Ryousuke Takahashi
Scénario : Yuya Takashima
Animation : Tezuka Productions
D’après le manga de Minami Katsuhisa
Fable est un tueur à gages qui sévit depuis plusieurs années pour de gros bonnets du milieu. Furtif comme une ombre, il est si pro et discret que même ses homologues le considèrent comme une simple légende urbaine. Un jour, après 70 assassinats et quelques menés sans bavure, l’organisation lui confie une mission d’un genre tout nouveau pour lui : se faire oublier pendant un an, mener une vie normale en se fondant dans la masse. Mais est-ce seulement possible ?
Tirée d’un seinen à succès datant de 2014, diffusée à l’international sur Disney Plus, on aurait pu croire que la série bénéficierait de gros moyens financiers et de la promotion idoine. Il n’en est rien. The Fable, en plus d’être animée par les mains déjà peu adroites de Tezuka Productions, évolue à l’intérieur de contraintes budgétaires qui transpercent l’écran : modèles boiteux, animations rigides, digipaint rudimentaire et storyboard inexistant lors des scènes d’action, la série fait étalage d’un grand amateurisme au plan visuel. Par voie de conséquence, ses (grandes) qualités et ses (maigres) défauts sont essentiellement imputables au manga de Minami Katsuhisa, dont il est la fidèle voire scolaire adaptation. En 25 épisodes ont été condensés les 10-11 premiers tomes, qui couvrent les deux premiers arcs narratifs et représentent à peu près la moitié du matériel.
C’est sur le fond que The Fable se distingue des sottises administrées par l'industrie de l'isekai et du cute girls doing cute things, en levant le voile sur certains aspects interlopes de la société japonaise. Elle le fait avec un talent prononcé pour le funambulisme, constamment partagée entre ton décalé, franchement humoristique, et incursions dans le glauque, le sale et le médiocre. Loin de s'engouffrer dans le glamour et la fascination toute américaine pour le gangster, elle nous présente ses criminels comme des losers, motivés par leur impuissance au lit ou par des gains risibles de petites frappes. Pour autant, ces méchants sont glaçants en ce qu'ils semblent posséder leur propre analyse sur le devenir du Japon ; le second arc, en particulier, aborde sur un ton grinçant la structure familiale nipponne et le syndrome de l'enfant roi. La narration est même suffisamment mature pour fréquemment éviter la fusillade, annuler les échanges de tirs, et désamorcer l'action au moment où elle semblait inévitable. La forme ne suit pas, le rythme est parfois curieux, mais l'écriture se hisse bien au-dessus de ce que la machine aime à donner au bouffeur de mangasse douze mois par an.
"Je cherche des anime qui nous montrent quelque chose du monde" proclamait il y a quelques années Ryousuke Takahashi à l'occasion d'un festival d'animation. J’imagine qu’il cherche toujours en vain, puisque tout le monde dans son pays natal a l’air de s’en badigeonner le nombril avec le plumeau de l’indifférence. Mais lui poursuit la mission à travers les décennies. Même étranger à l’oeuvre originale, il se retrouve véhicule de cette exigence qui fut de tous temps la sienne, et à 81 ans, associe son nom à l’anime le plus épais de l’année. The Fable, dont il n’est pourtant que prescripteur, tombe à point nommé pour remémorer (aux rares qui entendent) que Takahashi est bien le plus grand réalisateur d’animation japonais de télévision encore en vie, celui qui a toujours un orteil qui sort du cadre du pur divertissement et qui nous montre quelque chose.