Il y a une dizaine d'années, Panini Manga France lançait son label Generation Comics, spécialisé dans le manga. Pour cet éditeur aux reins solides et dans un marché du manga en France encore en pleine évolution, il fallait trouver un moyen d'exister. Il a alors fait le choix, qui se défend, de miser sur des titres qui ont cartonné au Japon, partant du principe que ce qui avait marché chez eux pouvait aussi marcher chez nous ; après tout, ce ne sont pas les exemples allant dans ce sens qui manquent. Néanmoins, si ce principe fonctionne assez bien pour les shônen récents, cela ne vaut pas forcément pour les shôjo, et à plus forte raison pour les shôjo un peu anciens. L'éditeur en a fait l'expérience avec Banana Fish, manga culte dans son pays d'origine passé relativement inaperçu en France ; sorti heureusement en intégralité chez nous, malheureusement introuvable hormis en occasion, et je suis justement tombé sur une occasion en or la semaine dernière, ce qui me permet aujourd'hui d'ouvrir ce sujet et de commencer à parler du premier tome.
Tout commence lors de la Guerre du Viet-Nam ; apparemment sous l'emprise de la drogue, un soldat américain tire sur ses camarades, avant de prononcer une phrase énigmatique : "Banana Fish". Plusieurs années plus tard, un jeune chef de gang de New-York découvre le corps agonisant d'un homme, qui avant de mourir lance ces mêmes mots, tout en donnant au garçon un objet mystérieux.
Je ne savais pas du tout de quoi ce manga parlait. C'est avant tout son succès au Japon qui m'a interpelé ; je suis curieux de nature, il fallait que je lise ce titre. Après ce premier volume, je suis assez surpris ; et pas spécialement par le papier jaune "banane" employé par l'éditeur.
Déjà, impossible de reconnaître un shôjo ; si le lecteur ignore que ce manga a été publié dans le Betsucomi - le magazine de Basara, Hot Gimmick, et C'était Nous! - il ne peut le deviner. Ici, point de romance lycéenne, point de fille (aucune dans ce premier tome), mais une histoire musclée faite de drogue, de vétérans du Viet-Nam, et de mafias. Le seul point qui surprend, qui fait tâche, ce sont les tendances homosexuelles clairement affichées de plusieurs personnages majeurs, qui pour autant n'agissent absolument pas comme ces grandes folles caricaturales qui pullulent dans les manga. Le trait, surtout, ne ressemble en rien à celui d'un shôjo, rappelant plus celui d'un Katsuhiro Otomo ; un trait sans âge, qui ne parait pas spécialement daté alors qu'il date tout de même de 1987.
Pour ce qui est de l'histoire, elle m'a donné l'impression de traiter de sujets rares dans les manga. Déjà, elle délocalise pour l'instant l'action à New-York, certes en gardant deux protagonistes japonais (des journalistes), mais ce parti-pris surprend. Évidemment, cet environnement permet d'introduire des éléments nouveaux - sans parler des personnages gays, puisque historiquement les plus anciens manga avec de telles pratiques "ne pouvaient pas se passer au Japon, car ce phénomène n'existe pas là-bas" - qui changent forcément de ce qui se trouve traditionnellement dans les manga. Tout cela fait que, parfois, je n'ai d'ailleurs pas eu l'impression de lire un manga, mais une œuvre un peu hybride. Le scénario possède un bon potentiel et recèle de nombreuses questions, mais dans l'immédiat se focalise vraiment sur les histoires de gangs et de mafia, presque à échelle réduite. J'attends que la suite me surprenne, et j'espère ne pas être déçu. 19 tomes en tout, j'ai le temps de voir venir.